Sunday, November 30, 2014

En finir avec Eddy Bellegueule

J'ai lu ce livre d'une seule traite, ce matin. Réveillée à 8h00, je l'ai terminé à 9h20 - presque assommée par cette lecture. J'avais lu deux ou trois critiques du livre, et j'avais très envie de le découvrir. Alors quand une collègue s'est proposé de me le prêter, j'étais ravie. Mais j'ignorais que cette lecture serait aussi violente

Edouard Louis a 21 ans - Eddy Bellegueule, c'est lui. Enfin, c'était lui - parce qu'un jour, il lui a dit définitivement adieu. Un nom pareil ça ne s'invente pas, et pourtant c'est celui qu'il a réellement porté, jusqu'à ce qu'à 17 ans, il quitte son village, sa famille, les gens du village pour la grande ville, Amiens. Il m'est difficile d'écrire "une critique" sur ce livre autobiographique. 

"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ?Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici."
En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

Eddy est né dans une famille très pauvre du Nord de la France, troisième enfant d'une fratrie de 5, il est très vite isolé des autres : la faute à sa voix fluette et son comportement efféminé dans un monde qui ne supporte aucune différence, quelle soit sexuelle, religieuse ou culturelle.  Eddy décrit ici la misère, une misère à la Germinal, au point qu'à certains moments j'avais l'impression que le roman avait été écrit dans les années 50 et non dans les années 90. Une vie de misère, en proie à l'échec social, la violence dans les mots, les gestes (et l'inceste) et l'abus d'alcool (le pastis étonnement) dominent la vie quotidienne.

Ici tout se reproduit de génération en génération, inexorablement : on passe du collège à l'usine. Ici on boit pour oublier. Ici on ne supporte aucune différence. Le racisme ordinaire, l'homophobie - ici tout est multiplié à l'infini. Ici tout est laid et triste. Ici les enfants grandissent vite, se saoulent, tombent enceintes ou finissent en prison. Alors quand Eddy naît, il bouscule tout sur son passage : il n'aime ni le foot, ni la télévision, ni les filles. Il est différent. 

Eddy aimerait tant être intégré, reconnu, être aimé mais pour sa survie, il va devoir faire un choix. Une histoire très forte, celle d'Eddy devenu Edouard. Un livre fort, une claque. J'allais publier ce billet en terminant sur ses mots, mais en échangeant avec ma soeur, j'ai aussi réalisé la violence des propos d'Eddy, il a 21 ans et ce livre est un véritable règlement de comptes avec sa famille. Il manque à ce roman un droit de réponse à cette famille. J'imagine mal en effet ses proches apprécier ces propos (et ces révélations sur ces incestes). Finalement, j'ai ressenti un certain malaise mais cela ne doit en aucun cas être une excuse pour ne pas lire ce témoignage, sur une autre France, très méconnue. 

Si l'histoire est extrêmement forte et violente, le style est parfois faible et surtout j'ai souffert de l'absence de chronologie (la narration fonctionne par thèmes (père, mère) pour raconter sa vie) et parfois il m'était difficile de me repérer or ici on ne court que sur une dizaine d'années de la vie d'un garçon. 



Thursday, November 27, 2014

Noyée. sous les livres........ SOS


J'adore les livres ... Je les aime trop ! Il m'arrive cependant (j'en ai souvent parlé sur mon autre blog) de connaître des périodes où je lis moins comme cette semaine. Il suffit que j'ai l'esprit préoccupé (changement d'ordinateur et vie professionnelle débordante). Cette période de sécheresse livresque, fort heureusement, ne dure jamais longtemps.

Et c'est le moment où je me retrouve avec dix mille livres sur les bras!

- les trois livres empruntés à la médiathèque 
- le livre du Challenge Prix des Lecteurs
- le livre que j'ai acheté à mon beau-père et qui me le redonne pour que je le lise à mon tour
- le livre d'une collègue car elle le lisait et j'avais très envie de le lire donc elle a pensé à moi
- le livre d'une amie qui l'a lu et qui pense que je suis en train de le lire ...

Sachant que les 4 premiers doivent être lus rapidement ... et que je suis très occupée ailleurs en ce moment.... J'ai presque envie de poser 3 jours de congé, une autre solution ?

PS : je compte bien tous les lire!

Saturday, November 22, 2014

Les vierges suicidées

J'ai dégoté le livre un peu par hasard, dans une boutique de livres d'occasion il y a un ou deux ans - j'avais beaucoup aimé l'adaptation cinématographique signée Sofia Coppola (1999). Puis je l'ai oublié jusqu'à cet été quand je l'ai retrouvé.

Après avoir lu deux gros pavés coup sur coup, je me suis lancée dans la lecture de livres plus courts, et j'ai retrouvé l’œuvre de Jeffrey Eugenides. Force du hasard, Hajar (blogueuse livres) avait entamé la lecture dudit livre et ne cessait de l'encenser. 

Et quel choc ! Un livre culte, comme le film - pourtant l'histoire est dramatique. Pour ceux qui n'ont jamais entendu parler du livre, et/ou du film, voici l'histoire en ces grandes lignes : 

Devenu adulte, un garçon (le narrateur) témoigne de l'histoire tragique de la famille Lisbon dont les cinq filles vont se suicider en l'espace d'une année. Ce garçon et ses amis, fascinés par cette famille voisine de la leur, se remémore cette période à l'âge adulte et tente de percer à jour les nombreux mystères entourant cette famille. La mère de famille, chrétienne pratiquante, va peu à peu isoler ses filles du monde extérieur après le suicide de la benjamine, les entrainant inconsciemment vers leur perte. Les sœurs vont alors s'effacer comme les visages sur les vieux polaroid.  




En lisant le livre, le visage de Lux (interprété au cinéma par Kirsten Dunst) ne cessait de m'obséder.  L’œuvre est puissante et l'adaptation cinématographique retranscrit parfaitement cette lente descente aux enfers. Les personnages sont énigmatiques pourtant le lecteur est rapidement obsédé par ces jeunes filles, comme le narrateur à l'époque des faits. Ce que j'aime dans ce roman, c'est qu'il retranscrit toute une palette d'émotions : envies, espoirs et fantasmes, qu'il a, adolescent amoureux, ressenti. Le lecteur est donc partagé entre les souvenirs (visuels, auditifs et olfactifs) du narrateur et les témoignages recueillis auprès des voisins et autres personnes qui ont pu approcher les Lisbon. 

La vision parfois édulcorée du jeune homme (nous sommes dans les années 60) apporte au roman une touche romanesque, idéalisée par son amour envers ces jeunes filles évanescentes. Et comme lui, le lecteur assiste, impuissant à la lente désintégration d'une famille, obsédée par la religion et la peur de l'autre.

"En y repensant, nous décidâmes que les filles n'avaient cessé d'essayer de nous parler, de nous demander notre aide, mais que nous étions trop amoureux pour les entendre. Notre surveillance était si concentrée que nous n'avions rien manqué sinon un simple regard rendu. Vers qui d'autres se seraient-elles tournées ? Pas leurs parents. Ni les voisins. A l'intérieur de leur maison, elles étaient prisonnières ; à l'extérieur, lépreuses. Et ainsi elles se cachaient du monde, attendant que quelqu'un - nous - les sauve".

Le livre et le film se complètent parfaitement. A cela, s'ajoute le style de l'auteur : épuré, classique mais également très moderne et visuel.

 


Jeffrey Eugenides a écrit, sans le savoir, un roman culte, sans aucun doute - il réalise un tour de force en critiquant cette Amérique puritaine qui au lieu d'aider ses enfants à s'ouvrir au monde, les enferme et les pousse au suicide. Car si la mère vise la vertu, ses filles rêvent de liberté et leur unique moyen de l'atteindre sera par le suicide.  Terrifiant. Difficile pour moi de comprendre le raisonnement des adultes face au désarroi de leurs enfants qui rêvaient juste d'une adolescence normale. 

Vierge suicidée
Qu'est-ce qu'elle criait?
Pas de raison de rester
Dans le train du malheur
Elle m'a donné sa fleur
C'est ma vierge suicidée

Un roman à lire absolument

 

Monday, November 17, 2014

Sagan 54

Sans Sagan, la vie serait mortelle d'ennui - Bernard Franck

Il ne m'aura fallu que deux jours pour lire le livre d'Anne Berest consacré à François Sagan - et plus particulièrement les mois qui précédèrent et suivirent la parution de son premier roman, Bonjour Tristesse, quand Françoise s'appelait encore Quoirez.

La jeune fille, âgée d'à peine 18 ans (donc mineure à l'époque en 1954, la majorité étant fixée à 21 ans), a comme meilleure amie Florence Malraux (la fille d'André), et adore ses parents, Pierre et Marie qui lui offrent une vie très confortable, Boulevard Malesherbes dans le 8ème arrondissement parisien. La jeune fille est la dernière d'une fratrie de trois ans, choyée par ses parents et frère et soeur. Elle a écrit son roman en six semaines au côté de son père qu'elle adore.

Anne Berest commence à travailler à son troisième roman (après La fille de son père et les Patriarches) lorsque Denis Westhoff, le fils de Françoise, lui demande d'écrire ce livre. Sagan est décédée il y a presque dix ans et son roman Bonjour Tristesse a été publié il y a près de soixante de 60 ans, un double anniversaire à marquer.  Mais l'ouvrage ne sera pas totalement biographique, puisqu'il repose en partie sur l'imagination de la romancière, qui sur la base de nombreux témoignages (dont celui de Florence, de Denis et d'amis) va tenter de replacer Françoise à cette période charnière de sa vie : le jour où naît Françoise Sagan. 

"Voici pour la première fois de sa vie son nom écrit sur la couverture d'un livre - couverture si souvent rêvée, imaginée, qui soudain est là, sous nos yeux, elle existe. Je crois qu'il n'est pas un écrivain qui n'ai ressenti, à cette vision, un violent sentiment, mélange de dégoût et de fascination, car si la couverture n'est qu'une image, elle est néanmoins une image qui a la puissance d'un acte. C'est une image qui agit pour dire : "Celui qui a écrit est désormais un écrivain".  Avant, il était écrivant, maintenant, il est écrivain. Bon écrivain ou mauvais écrivain, ce n'est pas la question. Qu'importe. La couverture d'un premier roman est un sacrement, elle est la réalité visible d'une désignation mystérieuse, l'appartenance à la communauté dont l'auteur a rêvé toute la vie, souvent depuis l'enfance."  

Anne Berest traverse elle-même une période charnière de sa vie : son conjoint l'a quitté, déprimée, elle a quitté le domicile conjugal. Elle accepte la proposition de Denis. En effet, dès qu'elle prononce le nom de Sagan, les visages s'illuminent. Elle va donc se plonger corps et âme dans la vie de la jeune romancière : d'une part, lire tous les romans, essais ou documentaires qui lui ont été consacrés et  d'autre part, rencontrer ceux qui l'ont croisée. Le journal de Françoise est aussi le journal intime d'Anne. Ce n'est pas donc une biographie à proprement parler, mais le roman est passionnant. Anne Berest nous ramène en 1954, quelques années après la guerre, deux stars sont nées : Sagan et Bardot, deux jeunes femmes qui vont choquer par leur insolence, leur mode de vie, deux jeunes femmes issues de la bourgeoisie, avec des parents néanmoins dotés d'une légèreté qui vont guider leurs pas. L'année précédente,  une voyante a prédit à la jeune Françoise : "vous écrirez un livre qui passera les océans", la jeune femme va alors déposer trois manuscrits dans trois maisons d'édition différentes. Anne Berest imagine l'attente, l'angoisse et puis les premiers mois et le succès qui ne quittera plus la romancière.


Les quelques touches de témoignages personnels sur les parents de Françoise sont vraiment émouvantes, étonnantes et drôles, ainsi lorsque son père, invité avec son épouse à un diner chez des amis, se trompe d'étage et entre dans l'appartement du dessous " (...) en criant "J'arrive au galop, au galop, au galop, au galop !" en imitant un cavalier sur son cheval. Mais arrivé au bout du couloir, devant les figures stupéfaites d'un couple en pyjama, il a fait le chemin inverse en criant encore plus fort "Et je repars au galop, au galop, au galop !"".

Anne Berest va vivre ces quelques mois avec la jeune effrontée, Françoise, qui va l'aider à faire le deuil d'une vie pour s'ouvrir à une autre. J'ai appris beaucoup de choses sur Françoise Sagan, dont je me dois encore de découvrir l’œuvre, en particulier ce Bonjour Tristesse (titre emprunté à Paul Eluard). 

J'ai hâte de retrouver Anne Berest pour son prochain roman, j'apprécie la personne que j'ai découverte ici. J'ai par ailleurs beaucoup aimé son premier roman (beaucoup moins le second). 

Françoise, je le crois, est bien venue l'accompagner dans l'écriture de ce livre. Comme un ange elle s'est posée délicatement sur son épaule et l'a rassurée : c'est bien en écrivant, qu'on devient écrivain. 

Thursday, November 13, 2014

Ce sont des choses qui arrivent

C'est par hasard que le livre de Pauline Dreyfus m'est tombé entre les mains. De retour à la médiathèque pour renouveler mon abonnement, je suis partie à la recherche de livres malheureusement tous déjà empruntés. J'ai mis la main sur une œuvre de Boyden, puis je suis allée voir la grille où les libraires affichent leurs coups de cœur - j'ai vu Sagan 1954 d'Anne Berest, hop dans la poche puis celui de Pauline Dreyfus, Ce sont des choses qui arrivent, que je savais en liste pour le Goncourt. J'ai lu la quatrième de couverture, et emballée, je l'ai ajouté à ma pile de livres. Et je ne le regrette pas. Il ne m'aura fallu que quelques heures de lecture (le soir et le matin au lit) pour l'avaler !

Le roman est divisé en trois parties : In memoriam - Cannes et Paris. Nous sommes en février 1945 et le tout Paris assiste à l'enterrement de la duchesse Nathalie de Sorrente, née Princesse Nathalie, Marguerie, Marie, Pauline de Lusignan (7 mai 1908 - 10 février 1945). Voilà le lecteur prévenu, nous voilà en présence de la haute société, en pleine déliquescence, réunie autour de la dépouille d'une duchesse dont nous allons bientôt découvrir la courte vie. Le ton est posé, précis et avec un certain détachement qui me posera quelques soucis au début de ma lecture pour être totalement balayé par la suite. 

C'est la toute première fois que je découvre, grâce à la romancière, les années de guerre (la fuite à Cannes, en zone libre puis le retour sous Paris, occupé) vécue par cette famille de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie. Nous sommes bien loin du petite peuple ou des résistants. Ici la guerre ne doit en rien modifier leur rythme de vie, la première à le penser est l'héroïne, Nathalie de Sorrente. La famille fuit dans le sud de la France pour y retrouver leurs amis et acquointances et feint de continuer à mener la même vie :  celle où l'on passe  d'une soirée mondaine à une autre, où l'on pratique le small talk : où l'on parle de tout sauf de l'essentiel.

Ces Français, qui du fait de leur appartenance, ne se sentent pas concernés par cette guerre, pire ils adorent Pétain et la "France rendue aux Français", ils partagent la ferveur antisémite qui s'est emparée du tout Paris.

La vie à Cannes ennuie vite Nathalie, éloignée du tourbillon parisien, elle se retrouve face à un époux, devenu juste un titre, sa fille de dix ans sur les bras. La guerre a tout compliqué : il est difficile aujourd'hui de trouver des employés, et la duchesse regrette son coiffeur, son tailleur, et les soirées mondaines où elle brillait de mille feux. Enceinte de son amant, elle l'annonce à son époux, fervent défendeur de son illustre histoire familiale, il choisit d"étouffer ce secret honteux pour offrir un héritier mâle à sa lignée d'aristocrate. Qu'importe s'il n'est pas du bon sang. 

"Paris en 1943? Une femme qui aurait changé de robe. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. (....) Paris est tombée en syncope; on l'entend à peine respirer".

Nathalie regrette de plus en plus Paris et cette vie enivrante où elle pouvait s'oublier. Ici, à Cannes, ne fréquentant que ses pairs, elle s'ennuie ferme et refuse d'entendre les craintes de ses employés juifs qui voient peu à peu leur liberté en zone libre menacée. Son époux est antisémite et elle également, comme il se le doit, et ils s'amusent d'apprendre les arrestations d'anciennes connaissances, et les fuites à l'étranger de certaines grandes familles, comme les Rothschild. 


Difficile pour moi de ressentir la moindre affection pour ces personnages au début du roman mais Pauline Dreyfus réussit à me surprendre et bientôt je ne lâcherais plus l'histoire car l'héroïne va découvrir, au décès de sa mère, un secret bien gardé pendant des années autour de ses origines. Celle qui ne cesse de vanter sa naissance, n'est-elle pas une De Lusignan, va voir ici toutes ses croyances et certitudes balayer d'un simple revers.

C'est dans son corps (une addiction à la morphine née à la suite de son accouchement compliqué) et dans son âme que la jeune femme va bientôt sentir le venin de la vérité se diffuser. Impossible d'échapper à son histoire, ni à son temps. De retour à Paris, les lois anti-juives et les rafles se multiplient. La défaite de l'armée allemande à Stalingrad, le débarquement des Alliés en Italie commencent peu à peu à ébrécher l'illusion d'une vie normale dans laquelle la haute-société s'est réfugiée, certains ayant noué de sérieux liens avec l'occupant.  

Nathalie : "On arrête les juifs étrangers ou naturalisés depuis 1927 - ceux qui ont un accent, en somme.  Un accent ! Vous voyez bien que vous n'avez aucune raison de vous inquiéter. (...) 
Madame Lévy  (...) : "J'aimerais vous croire. Mais dans le passé les Français s'en sont déjà pris aux juifs. Des brimades aux persécutions, il n'y a qu'un pas. Ce sont des choses qui arrivent, Madame...".

Si l'époux de la Duchesse accuse les occupants du sort réservé aux juifs et continue de défendre bec et ongles Pétain, il ne peut qu'assister impuissant à la lente désintégration de son épouse et est prêt à tout faire pour cacher ce terrible secret. J'ai vraiment adoré la seconde partie du roman, j'ai lu rapidement la première mais la deuxième m'a littéralement emportée. Le style de la romancière est comme aiguisé au couteau - il fait mouche à chaque fois !

Pauline Dreyfus signe un livre magistral car il apporte une lumière sur cette France pétainiste, antisémite, longtemps dénigrée et oubliée dans les livres d'histoire au profit des résistants et des victimes. La reconstitution de cette haute société m'a vraiment impressionnée, comme la liste des noms qu'elle associe à cette période : de Gérard Philippe à Edith Piaf, de Cocteau à Giroudoux. Car la vie mondaine continue sous l'occupation, les De Sorrente vont toujours au théâtre, au restaurant (Chez Maxim's, au Fouquet) et puis ces fameux bals mondains - tout doit continuer, comme si de rien n'était. Même s'ils doivent tout acheter au marché noir, laisser leurs biens à l'occupant, diner dans d'autres salles que les leurs. Ils acceptent tout, préfèrent cette occupation au risque de tout perdre avec la menace rouge et portent, comme les chevaux de course qu'ils vont admirer au Prix de l'Arc du Triomphe, de magnifiques œillères.

L'histoire est à la fois passionnante et parfaitement glaçante ! 

Mais quel plaisir de lecture, et puis surtout je me dois de remercier l'auteure d'avoir osé abordé ce pan de l'histoire. Et puis, je dois l'avouer, découvrir que l'héroïne est née un 7 mai, comme moi, m'a touché. Un vrai coup de cœur.

Pauline Dreyfus (étrangement, c'est en préparant ce billet que j'ai remarqué le patronyme de la romancière) n'a pas gagné le Goncourt, mais elle a remporté mon cœur. 

Monday, November 10, 2014

Les saisons de la solitude

Je viens de finir le roman de Joseph Boyden, Les saisons de la solitude. J'ai découvert cet auteur canadien, récompensé en 2008 par le plus grand prix littéraire canadien, Le Giller Prize. L'auteur, d'origine Cree nous offre ici une œuvre magnifique, celle d'un roman à deux voix, deux voix liées par les liens du sang, celle de Will, un ancien pilote plongé dans le coma, et celle d'Annie, sa nièce. Tous deux Cree, originaires de Moonsonee, la famille Bird nous entraine dans son histoire, celle du peuple indien, déchiré entre ses racines, sa culture et le monde moderne. 

Alors que Will, plongé dans le coma, se remémore sa vie et et l'histoire de son peuple à travers les derniers mois passés dans la nature sauvage des forêts canadiennes, traversant le pays et le siècle à bord de son hydravion, sa nièce Annie, trouve dans ce silence la force de lui raconter son périple entamé pour retrouver sa jeune sœur, Suzanne, de Toronto, à Montréal jusqu'à New York où elle failli y perdre corps et âme. Cette fresque à la fois individuelle et familiale mais aussi culturelle, celle du peuple Cree, m'a immédiatement emportée. 

Joseph Boyden a signé ici une œuvre majeure (il me reste à découvrir rapidement ses deux autres romans, Le chemin des Âmes et Dans le grand cercle du monde) où il rend un vibrant hommage à la culture indienne, celle des Cree, ses ancêtres.  Mais surtout, il sait démontrer à travers ces personnages le lien originel qui unit ce peuple à la nature - et ce qui déroute souvent l'homme blanc, comme le détachement face à certaines choses (le personnage d'Antoine à la fin du roman en prison est un bon exemple). Un regard sur la vie très éloigné de la vision du monde moderne qui va chambouler le lecteur.


Le choix de l'auteur d'entremêler deux voix, celle du passé et de l'avenir, permet de couvrir près de cent ans de l'histoire de cette famille, de ce peuple et de ses recherches perpétuelles pour perpétuer cette culture ancestrale.  Annie sera celle qui va se confronter au monde moderne, à l'opposé des croyances, celle qui noie son désespoir dans l'alcool et la drogue dans le monde factice de la mode mais qui en fait ne rêve que d'aller tuer le castor ou la martre pour leurs fourrures.  Elle arrachera de ce monde sans pitié un autre indien, venu, comme des centaines d'autres, s'échouer dans les bas-fonds de la ville. Âmes indiennes égarées, broyées par ce monde sans pitié. Will, son oncle, rêve de retrouver sa jeunesse, et de vivre à nouveau comme un homme libre, comme ses ancêtres Cree. Il commet l'irréparable et décide de faire face à ses multiples démons (l'alcool en est) en allant affronter la nature sauvage. 

J'avoue que j'ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman, puis j'ai plongé et ensuite à nouveau j'ai éprouvé quelques difficultés, pourtant je suis passionnée par les tribus indiennes. D'où une sorte de sentiment de culpabilité. J'ai passé presque une semaine pendant mon road trip en terre indienne et j'aimerais énormément retourner à la rencontre de ces tribus l'an prochain.  Sachez qu'ici on parle chasse, pêche, on tue l'animal, on le dépèce mais on le respecte profondément et on ne jette rien. Comme les indiens des plaines (les Lakota avec le bison), les indiens Cree tuent l'animal mais récupèrent tout, la graisse, les boyaux, la peau et remercient Mère Nature de leur apporter nourriture et soleil en faisant des offrandes. L'auteur emploie beaucoup de mots indiens et arrive à transmettre ici les plus profondes croyances d'un peuple souvent ignoré. 

Je me dois de préciser que le terme Cree est celui employé par les blancs (français ou anglais), ils se nomment en réalité Nēhilawē  et leur population approche les 200 000 âmes dont la présence recouvre une grande partie du Canada. Ils sont aussi présents aux États-Unis où ils partagent souvent des réserves avec les indiens Ojibwés.  Will Bird et sa nièce Annie sont des Moose Cree - originaires d'Ontario, ils vivent dans l'estuaire de la Moose River. 


"J'ai réveillé quelque chose en venant dans cet endroit appelé Rivière Fantôme, quelque chose à l'intérieur de moi, mais aussi à l'extérieur. De nombreuses nuits après avoir tué l'orignal, ses cris m'ont tiré de mon sommeil. Au début, je me disais que mon esprit me jouait des tours, et je suis persuadé que c'était en partie vrai. Mais ces cris, ils ne disparaissaient pas, et je restais couché, les yeux grands ouverts, dans mon askihkan, le fusil serré dans mon poing."

Je n'ai eu aucun mal à m'attacher à cette famille, à ces personnages - Joseph Boyden sait parfaitement dépeindre la vie de cette communauté et le lecteur a l'impression d'être l'un des leurs.  Le romancier réussit à produire un roman profondément visuel, il ne m'était jamais difficile de visualiser dans ma tête les paysages enneigés, ou les visages magnifiques des deux nièces ou celui du vieil indien et de son épouse. J'avoue : j'ai eu du mal à leur dire au revoir.

La bonne nouvelle pour moi fut la fin du roman, je m'étais imaginée une fin toute différente et je dois dire que l'auteur a réussi à me redonner foi en l'humanité avec cette fresque familiale. J'ai maintenant très envie de découvrir son premier roman, Le chemin des âmes, qui raconte la vie d'Elijah, l'aïeul de Will - et son dernier livre, Le Grand Cercle du Monde que j'avais déjà inscrit sur ma wishlist pour Noël !

Sunday, November 2, 2014

Un pied au paradis de Ron Rash

C'est en cherchant à étoffer ma liste de cadeaux pour le Noël que j'ai trouvé le dernier roman de Ron Rash, Terre d'Ombre, en vente et en découvrant l'auteur et l'histoire, j'ai été étonnée de ne pas le connaître à travers les éditions Gallmeister qui publient aujourd'hui la crème de la crème des romanciers américains. Le livre ajouté à ma liste, j'ai eu envie de découvrir cet auteur, et je me suis procurée en poche d'occasion son premier roman, Un pied au paradis (One foot in Eden).

Ron Rash est né en Caroline du Sud en 1953 et situe l'action au même endroit à la même époque : Oconee, comté rural des Appalaches, ancienne terre sacrée Cherokee, va prochainement être englouti par une compagnie d'électricité, qui prévoit l'installation d'un immense lac de rétention recouvrant les terres et les fermes de ses habitants. La fin du monde approche mais les hommes refusent d'y penser. La terre, ce bien précieux, se passe de génération en génération. Lorsque Holland Winchester disparaît, sa mère alerte le shérif, accusant son voisin, Billy Howcombe de l'avoir assassiné. Mais sans corps malgré une battue et des recherches sur les terres de Howcombe, le shérif n'a d'autre choix que de devoir laisser s'échapper un assassin.


Le récit se fait à cinq voix (ce que j'ignorais) : le shérif Alexander, puis le voisin, son épouse, leur fils et enfin l'adjoint au shérif. Cinq versions où chaque narrateur exprime sa vision des choses et où le lecteur assiste, impuissant, à la naissance du drame. Récit proche de l'apocalypse où se mêlent jalousie, vengeance, rancœurs et superstitions. 

Blue Ridge Mountains - South Carolina

Oconee, c'est l'Amérique des pauvres gens, des fermiers qui vivotent sur ces terres arides, de père en fils. Ces cultivateurs de tabac qui chaque saison prient pour une bonne récolte et croient dur comme fer que la veuve Goldwater est une sorcière, dont il faut se méfier mais qui sont prêts à aller chercher remède contre toute forme de sécheresse, physique ou biologique. Ici s'entremêlent coutumes, superstitions et religion. L'Amérique de Bruce Springsteen, celles des gens oubliés.

Le drame se noue lentement à travers les voix de chaque personnage, l'enquête est reléguée au second plan, pour laisser ici l'auteur écrire un véritable plaidoyer pour ces terres ancestrales, bientôt noyées sous un lac. Si l'eau lave les pêchés, ici au contraire, elle les fera remonter à la surface. D'où cette fin magnifique et émouvante.

« Un pasteur affirmerait que c’était la condition humaine depuis que l’homme avait quitté le paradis, et il y avait tant de vieux cantiques expliquant que dans une autre vie nous serions aux côtés de Dieu. Seulement nous vivions dans le présent. Toujours en quête de quelque chose qui comble cette absence. Peut-être qu’un mariage pouvait guérir cette nostalgie, même si le mien n’y était pas parvenu. L’alcool était la solution pour beaucoup d’autres hommes, sans compter Williams. Peut-être que pour certains les enfants la comblaient, ou peut-être, comme pour papa, l’amour d’un lieu qui vous rattachait à vos ancêtres. »

Le roman est magnifique, une écriture forte et puissante, lyrique et où l'auteur offre une âme à cette région méconnue du grand public. J'ai découvert ici un grand écrivain américain, comme je les aime - titulaire d'une chaire à l'université, auteur de poèmes et de nouvelles et de romans, il s'affirme comme un écrivain sur lesquels il faut désormais compter (oui, en 2014.. où étais-je en 2011?!).

A noter qu'en 1973, une immense centrale nucléaire a effectivement recouvert une partie des terres du comté d'Oconee.

Il est évident que Terre d'ombre fait partie de ma liste de cadeaux au Père Noël et que je vais m'empresser de me procurer son second roman, Serena.