Wednesday, June 25, 2014

Noyade en eau douce de Ross McDonald

Ross McDonald est le digne héritier de Raymond Chandler. Auteur de polars, le romancier, né aux USA, ayant grandi au Canada puis revenu  en Californie après la guerre, a créé l'un des plus célèbres détectives privés, après Marlowe et Spade : Lew Archer. Ce dernier enquête dans ces banlieues cossues qui regorgent de secrets de famille. Noyade en eau douce (the drowning pool), écrit en 1950 est le deuxième roman mettant en scène le détective privé, ancien flic et fin psychologue.  

Dans le quartier huppé de Nopal Valley, Lew Archer est engagé par Maude Slocum, épouse et mère de famille, accusée par une lettre anonyme d'adultère. Cette dernière souhaitant protéger sa famille accepte que le détective se mêle aux invités lors d'une fête organisée par les Slocum. Mais la soirée tourne au vinaigre : la belle-mère de Maude, Mrs Slocum est retrouvée morte, son corps flottant dans la piscine.  Les soupçons se portent alors sur le fils - Mrs Slocum, veuve richissime,  hébergeait son fils, sa bru et leur petite-fille dans sa vaste propriété. Cette dernière reposait sur un important gisement de pétrole convoité par plusieurs compagnies. Lew Archer va alors devoir démêler le vrai du faux et mettre à nu tous les secrets de famille. 

Je n'avais pas lu de polar datant des années 50 depuis fort longtemps (exception faite des enquêtes du commissaire Maigret de Simenon) et j'avoue avoir eu une période d'adaptation les premières vingt pages. Me voilà transportée dans le polar hollywoodien. dans la plus pure tradition. Ici le détective privé connait tous les truands, part en guerre contre les flics ripoux, croise des femmes de petite ou grande vertu, toutes plus belles séduisantes les unes que les autres. Le rêve hollywoodien s'est écrasé dans cette ville côtière, détruite par les exploitations de pétrole. Ici, tout n'est que faux semblant. 

Ross McDonald est doué, et très vite l'intrigue reprend le dessus - les personnages sont intéressants, le suspense est là et ici ni vainqueurs, ni perdants - le maigre équilibre entre le bien et mal demeure mais Lew Archer n'est ni un héros, ni un super détective privé. Il se fait taper dessus, maudire, accuser à tort et à travers et on se demande parfois ce qui le pousse à accepter de donner son aide à tous ces paumés, riches ou pauvres. Archer est profondément humain et on l'aime pour ça.

Le romancier aura écrit une dizaine de romans et encore plus de nouvelles mettant en scène son héros avant de tirer sa révérence en 1983. Et mon éditeur, préféré, Gallmeister a eu la bonne idée de publier une traduction intégrale des romans, toujours à un prix raisonnable (9-10 euros) dans sa collection TOTEM.

Je compte bien me procurer les autres romans sous peu. Surtout le premier, The moving target (1949) qui présente pour la première fois le détective privé. Celui-ci avait pris les traits de Paul Newman dans une adaptation cinématographique en 1966 sous le titre de Détective privé et à nouveau en 1975 pour l'adaptation de Noyade en eau douce, intitulée La toile d'araignée.

Aussi ma lecture n'en a été que plus agréable ! 

Friday, June 20, 2014

Le sillage de l'oubli

Quand j'ai découvert la collection Totem chez Gallmeister, j'ai parcouru la liste des livres et je suis tombée sur Le sillage de l'oubli de Bruce Machart. Premier roman, il a valu à son auteur d'être comparé à William Faulkner ou Cormac McCarthy - et je partage dorénavant totalement ces avis! 
Coïncidence étrange, j'ai vu The Homesman au cinéma - autre western qui évoque aussi l'autre face de la conquête de l'ouest et fait tomber le mythe entourant cette période cruciale de l'histoire américaine. Ici, nous sommes au Texas en 1895 - un propriétaire terrien d'origine tchèque perd sa femme en couches, leur quatrième fils, Karel survit. L'homme austère et tyrannique va entrainer ses fils dans son délire - pour lui, seules comptent les terres qu'il gagne grâce à ses chevaux de course, montés par son benjamin. Mais tout va changer lorsque sa route croise celle d'un riche Mexicain, père de trois jolies filles, qui va lui lancer un pari remettant tout en cause.

Quand j'ai commencé à lire le roman de Machart, j'ai découvert qu'il avait choisi de jouer avec la chronologie des évènements. Ainsi sachez que l'auteur a choisi de raconter l'histoire en faisant des aller et retour entre trois grandes périodes : février 1895, mars 1910 et décembre1924 (et une échappée en 1898).  Karel, le dernier né est le cordon ombilical, celui qui réunira les siens.

L'histoire est passionnante, surtout celle de cette famille, touchée par le malheur. L'auteur a choisi de suivre la destinée d'une famille d'immigrants sur deux générations. En l'espace de 25 ans, leur vie est totalement chamboulée comme le pays lui-même qui entre dans la modernité. J'ai été émue par le sort particulièrement cruel réservé aux épouses et aux quatre fils, sacrifiés sur l'autel de la réussite personnelle du patriarche.  Leurs corps déformés par le travail à la terre (ils remplacent les chevaux à la charrue), les jeunes hommes ne rêvent que de s'échapper du joug familial. 

http://swedishamericanphotos.blogspot.fr/2012/11/water-water-wooden-water-tank-calhoun.html
Copyright
Le style du livre est effectivement proche de Faulkner, très éloigné du style dépouillé que j'ai appris à aimer avec les auteurs scandinaves. Ici les envolées lyriques sont nombreuses, on peut sentir le souffle de l'animal, le gel paralyser vos membres, la branche vous gifler le visage.

En écrivant ce billet, des extraits me reviennent - l'écrivain manipule la chronologie comme Faulkner, multiplie les adjectifs, les métaphores - et transforme cette histoire en un récit épique.  Un duel qui oppose deux immigrants, l'européen et le mexicain - et créé ainsi l'histoire de l'Amérique, en mêlant leurs sangs pour créer une histoire commune.

Le livre de Machart va vous emporter dans un monde de mâles, de sueur, de sang, de douleur et des désirs charnels contrariés.  Un récit enivrant.  Un véritable coup de foudre littéraire.



Miséricorde et Profanation, 2 romans policiers de Jussi Adler-Olsen

Je voulais écrire un billet sur le deuxième volet des aventures de Carl Mørck et Hafez el Assad du Département V de la police danoise, j'ai donc recherché mon précédent billet sur le premier volet "Miséricorde" - et je ne l'ai jamais trouvé, car je ne l'ai jamais écrit ;-) 

Pourtant, je me souviens bien avoir lu le livre signé Jussi Adler-Olsen très rapidement pendant l'été 2013, et avoir beaucoup aimé le style et l'histoire. J'ai donc attendu que sorte en format Poche le second volet, Profanation pour retrouver les deux personnages principaux de ces enquêtes policières scandinaves.  Je vous livre ici mon avis sur ces deux livres, sachez que le troisième volet vient de sortir, intitulé Délivrance, mais il n'est disponible qu'en broché, ça attendra l'année prochaine (à moins que je ne l'emprunte à la bibliothèque).


Prix du meilleur polar scandinave, Miséricorde réussit à accrocher le lecteur presque immédiatement (ce fut mon cas). Le premier chapitre met en scène Merete Lyyngaard une femme politique, détenue prisonnière dans une cage depuis cinq longues années, puis l'auteur danois présente les deux principaux personnages : Carl Mørck, un flic mal aimé, dont une tragédie professionnelle a compromis son avenir (un de ses collègues est mort et l'autre est tétraplégique) qui doit apprendre à travailler avec un assistant petit, bourru, Hafez el Assa, d'origine syrienne au sien de la nouvelle unité chargé d'enquêter sur les affaires classées, les fameuses "cold case". Les deux hommes devront apprendre à travailler ensemble, accepter d'être relégués au sous-sol du Département V, ils vont réussir l'improbable... 

Le rythme est là, l'humour est présent, et on s'attache facilement aux deux personnages principaux - même si on peut trouver la prose académique, on se laisse facilement porter par l'histoire. A noter que j'ai préféré l'accroche de ce livre (une femme disparue depuis cinq ans) au suivant - mais j'ai toujours tendance à préférer le premier volet (que ce soit littéraire ou cinématographique). 

Le deuxième volet des aventures de Carl et Hafez prend place plusieurs mois après la résolution de la première affaire. Les deux hommes sont toujours au sous-sol, mais leur premier succès leur permet de commander des fournitures et d'agrandir leur équipe avec Rose, une assistante (ancienne élève de l'académie de police). Les deux hommes ont le privilège de pouvoir choisir leur enquête, lorsqu'un dossier sur un double meurtre, vieux de 20 ans, ressurgit comme par magie sur leur bureau. Intrigués, les policiers découvrent que l'assassin croupit en prison depuis 17 ans, après des aveux spontanés. Près à abandonner l'affaire, ils sont de nouveau mystérieusement remis sur la piste des véritables tueurs par une mystérieuse personne - ils découvrent alors que l'enquête sur l'assassinat de deux adolescents (un frère et une sœur) a été bâclée et que les principaux suspects étaient des élèves d'un lycée privé huppé. Les principaux suspects sont aujourd'hui parmi les hommes les plus puissants du Danemark. 

Ici Jussi Adler-Olsen ajoute une profondeur aux personnages et évoque allègrement les milieux de la haute-bourgeoisie et celui des affaires qui regorgent de secrets et de mensonges. L'auteur danois présente aussi une autre facette de l'assistant syrien (qui cache aussi des secrets), celui-ci prend de plus en plus de libertés et n'hésite pas à se présenter comme policier, ce qui a le don d'énerver son chef, mais on voit également le racisme auquel il doit faire face quotidiennement. Jussi-Adler livre une vision plus corrosive du Danemark - une vision sombre de la haute société. 

L'un des personnages les plus forts, Kimmie, incarne ici toute la violence qui entoure ce monde de privilégiés. 

Si je ne me suis pas ennuyée dans ce deuxième roman, l'enquête est passionnante, le rythme est soutenu - j'ai été cependant un peu rebutée par l'extrême violence des principaux suspects. Ce sont de vrais malades, assoiffés de sang comme de pouvoir, sans la moindre humanité.  Comme dans le premier volet, l'auteur ouvre sur une scène marquante, celle d'une chasse à l'homme qui forcément titille la curiosité naturelle du lecteur. 

Je tiens à préciser que je trouve le style de l'auteur plus proche des romanciers américains que des romanciers scandinaves (Arnaldur Indridason ou Henning Mankell), il manque quelque chose que je ne retrouve pas dans les romans de Jussi Adler-Olsen. 

Je lirai le troisième tome avec plaisir c'est certain, mais je peux facilement attendre leur sortie en poche.