Thursday, February 26, 2015

Americanah

Ecrire ce billet n'aura pas été chose facile. Il y a tant de choses à dire sur ce livre.  J'avais déjà lu ci et là les avis enthousiastes d'autres blogueuses puis Chimamanda Ngozi Adishie est venue sur le plateau de La grande Librairie et j'ai su que je devais acheter le livre. Samedi dernier, je suis donc repartie avec l'épais volume d'Americanah (528 pages, broché) sous le bras.

En premier lieu, je n'avais jamais lu de roman de cet auteur, ni même de roman nigérian ou traitant de ce sujet. Ce fut donc une totale découverte. De plus, lisant qu'il s'agissait d'une belle histoire d'amour, qui n'est pas mon sujet de prédilection dans les romans, j'avais encore plus de doute. Aussi, les premies chapitres m'ont-ils paru laborieux. J'ai même eu quelques incertitudes sur ma capacité à le finir. Puis la magie a opéré .. je ne l'ai plus lâché, et être en vacances m'a permis de lire des heures et des heures à la suite. 

L'histoire ? Voici le résumé copié collé : "En descendant de l'avion à Lagos, j'ai eu l'impression d'avoir cessé d'être noire." Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l'Amérique, qui compte bien la rejoindre. Mais comment rester soi lorsqu'on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés ? Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux Etats-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigeria."

Ce roman se lit à plusieurs voix :
- Celle d'Ifemelu, jeune femme nigériane qui tombe amoureuse d'Obinze au lycée. Le lecteur la suit lors de son départ en Amérique pour étudier et sa difficile adaptation, puis revient avec elle au Nigeria lorsqu'elle prend la décision de retourner au pays.
- Celle d'Obinze que l'on suit dans ses pérégrinations en Angleterre. Contrairement à Ifemelu, il est l'immigrant sans papiers. Il doit se cacher, mentir, subir.

Le roman est une histoire d'amour entre deux jeunes gens, tous deux avides de réussite mais également un regard sans faille, sans oeillères sur la situation de la jeunesse dorée nigériane qui part étudier en Amérique ou en Angleterre et dont le retour au pays est difficile. C'est aussi le regard d'une jeune femme, qui une fois le pied posé en Amérique, va soudainement prendre conscience qu'elle est Noire (on ne se voit pas blanc tant qu'on n'a pas posé les pieds dans un pays où nous sommes une minorité). La romancière va faire de ce roman un essai sur sa condition de femme Noire africaine dans un pays occidental évolué. 

"Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L'Amérique s'en fiche". (page 249)

Ifemelu découvre ainsi qu'elle est constamment jugée sur sa seule couleur de peau. La jeune femme tente de s'intégrer rapidement mais au fil du temps déprime. Elle ne décroche pas d'emploi, or ses études ont un prix. Elle vit chez sa tante Juju et garde l'enfant de cette dernière. Ici, pas de cadeau - leur statut privilégié au Nigéria a disparu, la tante enchaine trois jobs pour payer ses études (son diplôme de médecin n'est pas reconnu en Amérique). Ifemelu va traverser une crise identitaire : doit-elle gommer, comme beaucoup de Nigerians, tout trace de ses origines pour augmenter ses chances de réussite ? Ainsi ses compatriotes sont nombreux à effacer leur accent et les femme raidissent leurs cheveux. L'auteur s'épanche longuement sur l'aspect capillaire et j'ai pensé aux actrices Noires américaines face à l'arrivée de Lupita Nyong'o, actrice Kenyane qui ne se raidit pas les cheveux.



Elle ouvre alors un blog où elle confie ses impressions jour après jour : être Noire en Amérique, faire face aux préjugés, au racisme mais découvrir également qu'elle est aussi jugée par ses pairs, qu'elle n'est pas comme les Afro-américains, ces Noirs américains descendants des esclaves. Cette réflexion qu'elle mène dans son blog est retranscrite ici sous forme d'extraits. Tous très pertinents.

"De nombreux Noirs américains disent avec fierté qu'ils ont du sang indien. Ce qui signifie, Dieu merci, que nous ne sommes pas cent pour cent nègres. Ce qui signifie aussi qu'ils ne sont pas trop foncés (Pour être précis, quand les Blancs disent foncés, ils pensent aux Grecs ou aux Italiens, mais quand les Noirs disent foncé, ils pensent à Grace Jones). Les Noirs américains aiment que leurs femmes aient une touche d'exotisme, soient à moitié chinoise ou possèdent une goutte de sang cherokee par exemple. Ils aiment les femmes claires (...) Oh, et les Noirs américains foncés n'aiment pas les hommes clairs parce qu'ils trouvent qu'ils ont trop de succès avec les femmes." (page 242)  

Si les trois-quart du roman jugent assez sévèrement les Américains ou les Anglais (et un peu les Français) mais pour la bonne cause car tout ce qu'elle dit ou pointe fait mouche, elle n'oublie pas non plus de juger son propre peuple. Au début du roman, lorsqu'elle est adolescente, la romancière juge sans détour son pays en proie à la corruption, aux luttes intestines pour le pouvoir, aux affaires douteuses et à la course à la richesse. De retour au pays, celle qu'on surnomme dorénavant "Americanah", a ainsi du mal à s'adapter à ce pays en pleine croissance :

"Le premier contact avec Lagos l'agressa. L'agitation sous le soleil éblouissant, les bus jaunes bondés de corps comprimés, les vendeurs de rue courant en sueur à la poursuite des voitures, les publicités sur les panneaux géants (..) et les ordures s'amoncelant le long des rues comme pour vous narguer. (page 425)

Dorénavant, Lagos se développe à toute vitesse, sacrifiant au passage une partie de son histoire, de sa culture. L'image qu'elle avait gardée en quittant le Nigéria n'est dorénavant plus qu'un souvenir. Le pays avance vite, très vite et comme tout pays du tiers-monde, il ne souhaite garder aucune trace du passé.



La romancière réussit un tour  de force : nous raconter une très belle histoire d'amour tout en partageant haut et fort ses réflexions sur la race ou le statut d'immigrant, et ce sur trois continents (l'Amérique, l'Europe et l'Afrique). Une oeuvre forte et puissante qui vous ouvre les yeux sur la condition des immigrants, des Noirs mais aussi des femmes. Un livre où j'ai appris, où l'auteur m'a ouvert les yeux sur un tas d'aspects que je méconnaissais. Un livre qui m'a fait grandir, j'espère.

J'hésitais à en parler ici, mais ayant étudié dans une université huppée du Sud il y a plusieurs années, je me souviens d'avoir été choquée par certains propos tenus par des professeurs émérites (dont une de Harvard) lors d'une conférence.  J'ai comme, Ifemelu le rapporte, entendu ainsi que le racisme n'existait plus en Amérique. Jamais je n'aurais cru pouvoir entendre ces propos, mais ce fut le cas. En France, le racisme est bien présent, particulièrement en ces temps-ci, il s'affiche plus ouvertement. Il gangrène la société française. Mais jamais un politicien ou un professeur irait soutenir de tels propos. On peut afficher des valeurs républicaines mais on ne nie pas le mal quand on le voit.

Ce jour-là, la dizaine d'étudiants Noirs américains (sur environ 1 200 étudiants), étaient assis dans le fond de la salle. Ce jour-là, j'ai parlé, comme mon amie allemande - on nous a retoqué que nous ne pouvions prendre la parole vu d'où nous venions (pays du Front National et du nazisme... ). Finalement, nous devons notre salut à une vieille Dame du Sud, assise à l'avant, drapée dans sa crinoline bleue, son immense chapeau. Elle s'est levée difficilement, avec sa canne, et a répondu à ma remarque (je m'étonnais du faible nombre d'étudiants issus de minorités dans cette faculté) en m'expliquant que si on trouvait si peu d'étudiants Noirs ici, "c'est parce que le seul objectif dans la vie d'un Noir américain est un jour d'être balayeur au McDonald...".

Un silence gêné a alors empli la salle. Puis mon amie et moi l'avons remerciée pour son intervention, nous nous sommes levées et nous avons quitté la salle, suivie des étudiants Noirs. Ifemelu, se serait elle, assise devant et aurait su comment moucher cette soit-disante politologue d'Harvard.

Lisez Americanah. Moi je vais m'empresser d'emprunter ses autres livres !

Editons Gallimard, Traduction Anne Damour, 528 pages

Tuesday, February 24, 2015

La gaieté

J'ai découvert Justine Lévy en lisant Rien de grave puis Mauvaise fille. Enfin dans l'autre sens, mais qu'importe.  J'ai eu le coup de coeur pour cette fille fragile et pour ses écrits.  Pourtant son style a été assez violemment critiqué mais moi j'ai tout aimé en la lisant. Justine Lévy s'est trouvé un double, Louise. Louise raconte : son enfance, cette mère, décédée mais omniprésente, ce père célèbre (BHL), sa bouée de sauvetage.  Louise et son couple qui se casse la figure, quand l'ex-première dame, alors amante de son beau-père lui vole son mari. Louise et sa mère, un couple fusionnel condamné. Puis Justine Lévy s'arrête d'écrire et fait taire Louise. Elle se met en couple, a deux enfants et disparait. Puis finalement Justine Lévy réapparait avec son dernier roman La gaieté

"C'est le paradis, c'est mon paradis, je ne sais plus rien de la politique, des livres qui paraissent, des films, des projets de Pablo, de l'autre vie, la leur, c'est comme un jeûne, une ascèse puéricultrice, c'est comme si j'avais été opérée de ma vie d'avant, je ne sais pas si ça reviendra, je ne sais même pas si je le souhaite, j'adore cette nouvelle vie de mère de famille un peu débile mais résignée."

Louise ne fait rien à moitié. Ses enfants deviennent son monde, tout entier. Tout disparait autour. Son île.  C'est une forme de fuite en avant. Mais elle réalise vite qu'étouffer d'amour ses enfants, c'est une forme "d'anéantissement". 

Justine Lévy a un don, celui de m'emporter. Pourtant, quand j'ai lu les premières pages, j'ai été moins emballée. Je ne suis pas mère. Je ne me suis pas de suite reconnue dans cette femme qui se plait à parler couches, biberons, ouate homéopathique, varicelle... Mais page 121 je n'ai plus lâché le livre et je l'ai terminé, les yeux embués de larmes. 

Parce que Louise, Justine, on ne sait plus qui est qui... se souvient. De l'effroyable. Pendant dix-huit mois, sa mère et une amie à elle partirent à Kuala Lampur, leurs enfants dans leurs valises. Louise avait trois ans. Aucun souvenir si ce n'est une désagréable odeur. Sa mère est morte. Louise a choisi d'être gaie à la naissance de ses enfants. Sa mère, sa dépression, leurs dépressions, leurs mélancolies - Louise a tout refermé. Elle a dressé une muraille. Et là, sur une photo elle se voit, à l'âge de trois ans, le même nounours à la main que celui qu'elle a offert à sa fille trente après. Et tout revient. L'inimaginable. 

Le plus éprouvant pour moi, ce n'est pas ce souvenir, même s'il est terrible, c'est le récit de ses belle-mères passagères qui, jalouses de sa relation privilégiée avec son père, du souci qu'il se fait son ex-femme, droguée, dépendante, alcoolique - alors ces femmes vont tenir des propos d'une violence inouïe à l'encontre d'une enfant de cinq ans ou huit ans. 

"J'ai senti ses os frêles, coupants, et je me suis dit que décidément le problème avec la méchanceté, la méchanceté, pure, totale, c'est que ça n'a rien à voir, ni avec la force, ni avec le courage, ni avec l'humour ou l'intelligence, c'est une maladie sans traitement, sans médicament, ça ne s'atténue pas avec l'âge ou avec les épreuves ou les joies de la vie, non, on ne peut rien y faire, c'est comme le désespoir, ça finit par se retourner contre vous et par vous bouffer de l'intérieur".

Justine Lévy a écrit ici un livre puissant. Sur celui de la transmission - comment lutter contre? Est-ce possible ? D'une fêlure, celle d'être un enfant toujours en recherche d'amour auprès de sa mère (son père est à l'inverse son meilleur allié) elle a plongé dans une autre abysse : celui d'une mère qui a peur pour ses enfants. Peur de tout. Mais aussi, celle qui a cherché le bonheur partout (dans les drogues, l'alcool, les médicaments) et qui finalement a choisi la gaieté, parfaitement naturelle.

Un superbe moment de lecture pour moi. Je comprends que certaines personnes ne puissent pas apprécier cet auteur. Il est vrai que je retrouve chez elle quelque chose de très personnel, une famille bancale, une enfance compliquée, des souvenirs communs. Sa vie me parle. Cependant, je ne l'ai réalisé qu'une fois le livre fini. Car ses propos sont évidemment universels.

J'avais écrit un billet sur "les filles de leurs mères" ou ses écrivaines qui écrivent sur ces mères bancales. C'était en 2012. 

Un livre coup de poing. Un véritable coup de coeur !

Editions Stock, 215 pages

Saturday, February 21, 2015

En vacances... je lis



Le réseau de ma bibliothèque en ville étant très pratique, j'ai pu de chez moi accéder au catalogue en ligne et lister 50 livres qui me tentaient bien (et les ajouter à mon panier virtuel). J'adore acheter des livres mais ça devient très cher, et je suis ravie de voir que les bibliothécaires les ajoutent à leurs listes d'achat. 

En vacances pour une semaine, et pour fois, dès ce midi - j'ai filé à la médiathèque - rendre trois livres (un abandonné, un plus envie de le lire et un lu très vite) et la liste à la main, j'ai décidé de moins flâner : une chance (les vacances?), j'ai trouvé quatre livres (j'ai reposé le cinquième) que je cherchais depuis longtemps. Vous remarquerez que la maison Gallmeister est bien représentée. Je suis trop contente d'avoir déniché Californian Dream ;-)

Puis, j'ai filé, sous un temps de chien, à la librairie car j'avais prévu d'acheter Americanah de Chimamanda Ngozi Adishie depuis que je l'ai vue lors de son passage dans l'émission "La grande Librairie". 

Difficile de repartir sans faire un tour au milieu des rayons, et là j'ai trouvé deux livres de F.S Fitzgerald publiés dans la collection l'Imaginaire de Gallimard. J'aime beaucoup le format et le petit prix. J'avoue, j'ai très envie de relire son oeuvre en totalité et, de partager avec vous mes lectures !

Je finis de lire aujourd'hui le roman de Justine Lévy - après je pense découvrir l'oeuvre de la romancière nigériane et ensuite on verra bien.... 

Vous remarquerez que certains livres "datent" un peu mais les livres brochés coûtent chers à leur sortie, et je n'ai pas toujours envie d'attendre leur sortie en poche.  Donc, vous aurez sans doute déjà lus pas mal d'entre eux ! 

Le temps est minable (la saison des grandes marées donc tempête) et mes collègues m'ont dit "oh triste que tes vacances se passent sous la pluie", sauf une qui me connait bien et qui a ajouté "Tu vas en profiter pour lire !".... Tout est dit. 

Je voulais faire un nouveau billet "Craquage de slip" mais MyPrettyBooks m'a donné l'idée d'en faire un spécial vacances. Bon, elle me bat à plates coutures : elle a carrément une valise entière remplie de livres... 15 si je ne me trompe pas.





Bon week-end et bonnes vacances aux autres chanceux ;-)

Thursday, February 19, 2015

Les nuits de Reykjavik

Retrouver le personnage d'Erlendur chez Arnaldur Indriðason, c'est pour moi comme si c'était à nouveau Noël. Ainsi tous les ans, début janvier, je guette la sortie du prochain opus des aventures du policier islandais. J'ai beau connaître le personnage, je suis toujours aussi excitée à l'idée de m'envoler pour l'Islande pour quelques heures.
C'est exactement ce qui s'est passé le week-end dernier. J'ai lu le livre en deux fois, avalé, digéré. Je me suis délectée.

Le romancier islandais a choisi, comme dans son roman précédent, Le Duel, de remonter le temps et de nous présenter l'une des premières enquêtes du policier, encore toute jeune policier émoulu dans son uniforme.

Je ne le cache donc pas : cet opus est un des meilleurs de la série qui nous prouve une fois de plus le talent de conteur d'Indridason.

L'histoire ? Erlendur, tout jeune policier, vient d'entrer dans la police et se voit confier les patrouilles de nuit. Les nuits de la capitale islandaise sont loin d'être calmes : accidents de la circulation, bagarre de bars, beuveries, vols, contrebande, violence domestique, etc. Un soir, des enfants qui jouent dans les tourbières découvrent le cadavre d'un clochard flottant à la surface. Erlendur l'avait croisé à plusieurs reprises, et le policier décide, un an après les faits, d'enquêter sur ce décès, classé accidentel. 

A cette histoire, se croisent d'autres histoires - celles de personnes disparues, comme cette jeune femme à la sortie d'un bar, disparue il y a un an également ou cette écolière, jamais rentrée chez elle. Le lecteur découvre ici qu'Erlendur n'a pas beaucoup changé depuis cette époque tourmentée : il est taciturne, solitaire et passionné par son métier. Il collectionne déjà les récits de disparitions dans les fjords. Il aime Reykjavik même s'il pense souvent à son enfance dans les fjords. Erlendur est déjà une âme ancienne.

J'admire toujours autant l'immense talent d'Indridason, celui de nous entrainer avec Erlendur dans les bas-fonds de la ville ou dans les banlieues aseptisées et froides de la capitale. Comme à son habitude, l'auteur sème des graines ci et là, des indices. Je me suis laissée totalement happée par l'histoire et j'ai suivi les pas d'Erlendur, même lorsque le policier se trompe, je le suis. Ce que j'aime ici, c'est que la science n'est pas omniprésente, Erlendur n'est pas un super flic. Il suit des fausses pistes. Mais il est tenace, persévérant, n'abandonne jamais et peu à peu, comme pour un puzzle, les morceaux recollés finissent par faire apparaitre une image.

"Le ciel était lourd. La pluie s'était remise à tomber. Il la regarda monter et s'installer près de la vitre pour continuer son errance perpétuelle à travers la ville, sans se soucier de sa destination. Sa vie était un voyage sans but et, en voyant l'autobus s'éloigner de Hlemmur, Erlendur avait presque l'impression de se voir à sa place, voyageur solitaire et sans but, condamné à une éternelle errance dans l'existence" (page 188) 



Ce thriller est l'un des meilleurs lus dernièrement pour moi. Car ici il se déroule loin des poncifs du genre : pas de course poursuite (sinon pour de menus larcins), pas d'arme, pas de tests ADN. C'est en interrogeant et en écoutant les témoins qu'Erlendur reconstruit peu à peu les faits. Cet excellent roman ne se contente pas d'être un bon thriller, il s'adresse à nous, lecteurs, en nous entrainant dans le monde des disparus et celui des invisibles, les clochards mais aussi ces épouses de banlieues régulièrement violentées par leurs époux. Ces derniers ne frappent jamais au visage. Tout se tait. Tout se cache. Erlendur se confie peu, même à sa petite amie. Erlendur et sa vie amoureuse, tout un chapitre, que je vous laisse découvrir.

J'ai toujours aimé, au fil de ses romans, le style aiguisé, précis, sans fioriture du romancier islandais. Ici, il fait encore un pas de plus. Arnaldur Indridason écrit sur les hommes, leurs faiblesses, leurs craintes. Il dresse un portrait sans fard de la société.

Comme dans son roman précédent, l'auteur fait un clin d’œil à ses lecteurs en nous proposant ici la rencontre entre le jeune Erlendur et son mentor, Marion Briem. Pour les curieux, je suis les aventure d'Erlendur depuis le début et vous pouvez trouver mes chroniques sur quelques uns de ses récits : Étranges rivages, La muraille de lave et plus récemment Le duel.

En conclusion, un délicieux moment pour moi, hors du temps, au pays des glaces. Un gros coup de cœur.


Editions Métailié Noir, traduction Eric Boury, 261 pages

Tuesday, February 17, 2015

Le complexe d'Eden Bellwether


Cambridge, de nos jours. Au détour d'une allée du campus, Oscar, [20 ans, aide-soignant dans une maison de retraite], est attiré par la puissance de l'orgue et des chants provenant de la chapelle de King's College. Subjugué malgré lui, il ne peut maîtriser un sentiment d'extase. Premier rouage de l'engrenage. Dans l'assemblée, une jeune femme capte son attention. Iris n'est autre que la sœur de l'organiste virtuose, Eden Bellwether, dont la passion exclusive pour la musique baroque s'accompagne d'étranges conceptions sur son usage hypnotique...

En lisant la présentation de l'éditeur, le mystère demeure. Aussi avais-je hâte de me lancer dans la lecture de ce roman. J'avais beaucoup entendu parler du premier roman signé Benjamin Wood, jeune auteur britannique.  Et c'est via mon inscription au challenge Prix des Lecteurs Nantais que le livre est arrivé dans ma boîte aux lettres.

Ce livre a reçu le prix du meilleur roman décerné par la FNAC en 2014 et j'avais lu ci et là des critiques enthousiastes. Il m'est difficile aujourd'hui d'écrire un billet qui explique "le pourquoi du comment" : ou comment exprimer mon fort désappointement. Sans doute en détaillant les points positifs et les poins faibles ? 

Les points positifs 

-  Un décor sublime : Cambridge.
- Une idée de départ très prometteuse avec des thèmes multiples : jeunesse / vieillesse, richesse / pauvreté, libre arbitre /  manipulation, etc.
- Une question passionnante : peut-on vraiment aider à guérir des personnes souffrantes (mais de maladie grave) à travers la musique et l'hypnose ? 
- Un monde encore inconnu pour moi : celui de la musique baroque 
- Un peu de psychologie (personnalité narcissique, manipulation, folie, dépression).
- Un très joli mot : petrichor

- Un personnage principal intéressant, Oscar. 
- Un livre assez bon page-turner.

Au final, Benjamin Wood m'a offert une centaine de pages assez prenantes, d'abord à travers la relation d'Oscar et de M.Paulsen et son coupe de foudre pour Iggy. J'avoue, j'ai avalé des dizaines de pages (au milieu du livre), et j'en étais ravie. Comme la partie du livre où Oscar découvre les écrits et articles de l'ami de M.Paulsen. Le livre est donc prometteur.




Les points faibles

- Imaginez-donc : un campus, un petit groupe élitiste d'étudiants en musicologie, un couple frère-soeur extrêmement proche, un jeune homme issu du monde prolétaire qui pénètre ce cercle ...
Ça ne sent pas le déjà vu ? Ou enfin ici, une forte impression de "déjà lu" ? Pour moi, si. Énormément, j'ai même failli abandonner la lecture de ce livre ... vous y êtes ? Oui, j'ai tout de suite fait le lien avec Le maître des Illusions de Donna Tartt et j'avais beau lire et lire, tout me revenait. Une sensation de copier-coller qui m'a, j'avoue, vraiment rebuté. J'ai reposé le livre. (Fort heureusement, l'histoire d'Oscar prend une tournure différente au bout d'une soixantaine de pages).

- L'histoire est très prometteuse : un jeune homme surdoué en musique mais profondément narcissique et prétentieux croit posséder un don via la musique et l'hypnose pour guérir les gens. Souffrant de troubles plus sévères, il perd bientôt pied et plonge dans la folie.... et la deuxième partie du livre s'effondre. Comme un château de cartes. Une promesse non tenue pour le lecteur. 

- Les thèmes abordés, passionnants sont abandonnés ou non exploités par le romancier. 
- Une fin escamotée. Tronquée. Surfaite.
- Les personnages :
  • Oscar, le personnage principal, défend bien son boulot d'aide-soignant face à ces gosses de riches, étudiants huppés et privilégiés mais il finira par les imiter. Une nouvelle fois, on compare les pauvres et les riches et ici les riches sont décrit de manière caricaturale ainsi Iggy et Eddie sont gâtés et trop protégés. Yin et Marcus sont à peine esquissés. Les parents forcément absents, etc.
  • Eden Bellewether est tout simplement insupportable. Je n'ai éprouvé aucune empathie, ni sympathie envers lui. Difficile dans ce cas de lui trouver un quelconque intérêt (même à travers sa maladie). Son personnage est une accumulation de poncifs et sa fin est trop prévisible.

  " -Tss. Ca leur est bien égal ce que je fais. Ils s'en battent l’œil. ll se remit debout en se cramponnant au lavabo, "Mais ça ne fait rien. Je vais construire mon orgue à moi. Et alors je pourrai tout faire, et tout le monde écoutera."

Au final, je retiens qu'une partie du livre m'a vraiment plu, comme le postulat de départ mas que tout est malheureusement retombé à plat. Néanmoins, je trouve l'auteur plutôt doué et intéressant.
Editions Zulma, traduction Renaud Morin, 494 pages

Saturday, February 14, 2015

Les ombres


Dans le cadre du challenge BD, j'ai reçu cet imposant ouvrage, Les Ombres. Le titre et le dessin m'intriguaient.

Une salle d'interrogatoire, immense. Une chaise, un bureau - une ambiance glauque. C'est ici que le destin du n°214 va se sceller. Qui est le n°214 ? Un demandeur d'asile qui vient ici raconter son passé et son périple pour espérer obtenir le sésame : une autorisation de séjour. 

Le sujet ne pouvait alors que m'intéresser, ayant, comme je l'avais déjà abordé, été bénévole à la Cimade où j'aidais les réfugiés dans leurs démarches administratives (et les recours en cas de rejet de leur demande d'asile).

Ici, Zabus a choisi de raconter le périple d'un garçon et de sa soeur, obligés de fuir leur pays lorsqu'une guerre civile éclate et que des troupes d'hommes viennent assassiner les civils et brûler les villages. 

Le lecteur suit alors ce long voyage de ces deux enfants qui les emmène à travers des terres inconnues, des forêts, des déserts, la mer. Ils doivent non seulement lutter pour survivre, accorder leur confiance à des inconnus, fuir des êtres malfaisants (l'ogre capitaliste, le serpent-passeur, les sirènes lors de la traversée) pour finalement être cantonnés dans un centre de rétention. 

Zabus a choisi de raconter ce périple que vivent chaque jours des centaines d'exilés, hommes, femmes et enfants pour retrouver la liberté, tout en ignorant si à la fin, ils pourront se voir attribuer le fameux sésame. 

Pour la forme, le dessin d'Hippolite est assez marquant - voir impressionnant, ainsi choisir de donner à certains personnages clés (le passeur par exemple) des formes animales est très intéressant.

 

J'avoue cependant avoir eu du mal à accepter le dessin pour les deux personnages principaux, la fille et le garçon : ils ressemblent à des zombies - et n'expriment aucune émotion. J'imagine que l'auteur souhaitait qu'ainsi ils puissent être symbolique de ces milliers d'exilés, mais honnêtement j'ai eu du mal à la fin du livre à accepter cette absence de "visage". 

Par contre, Zabus et Hippolyte réussissent en tout point à délivrer un conte onirique moderne qui résume si bien la condition des exilés de nos jours. Je le sais car j'ai moi-même déjà recueillli ce genre de témoignages. Cette bande-dessinée me donne l'occasion d'en reparler (un peu plus loin dans cette chronique).

Pour revenir à la bande-dessinée,  j'ai aimé le choix de Zabus de ne jamais verser dans les lamentations. Qui sont les ombres ? Ce sont les êtres chers, perdus qui accompagnent les protagonistes dans leur voyage. Celles de tous ceux qui sont tombés avant, qui se sont noyés avant d'arriver sur nos terres. Ici, on oscille constamment entre onirisme et réalité, entre conte et récit réaliste sur l'exil de ces personnes, chassées de leur terre natale sans d'autre solution que venir par milliers s'échouer en Europe. 



J'ai aimé le trait d'Hippolyte et le propos de Zabus. Un récit à lire. 

Cette bande-dessinée ayant été lue dans le cadre du challenge Prix BD Cézam 2015, je dois la noter : 7/10. 
*  * *

Maintenant, je me permets de revenir sur les réfugiés. 

Une précision importante : il s'agit ici d'enfants, de jeunes adolescents. La loi nous interdit de renvoyer des mineurs dans leurs pays. Ils doivent être pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, et ne peuvent être expulsés avant leur majorité. Donc, concrètement cette scène n'est pas réaliste. C'est quelques mois avant sa majorité qu'il devra entamer les démarches pour obtenir le statut de réfugié.

Zabu aborde ici dans son récit, une question primordiale que se posent tous les demandeurs d'asile : dois-je raconter toute mon histoire ? Dire la vérité ? Ou dois-je omettre certains passages ? Quelles choses dois-je dire pour obtenir le sésame et quels éléments dois-je cacher pour ne pas perdre de chance de l'obtenir ? 

Et la question la plus simple : comment peut-on raconter sa vie dans l'espoir d'obtenir un titre de séjour devant un inconnu? Comment peut-on raconter des choses aussi privées (et violentes, les viols, les tortures) à une personne qui voit chaque jour des dizaines d'autres personnes dans la même situation ?

Je le sais car j'ai lu les motifs de rejet de certaines demandes d'asile qui m'avaient à l'époque choqués. Je garde l'anonymat de cette jeune femme africaine, dont l'agent de l'OFPRA lui refusait l'asile au motif qu'elle "n'avait pas pleuré" pendant l'entretien. Personnellement, je la comprends. 

Pour préparer son recours (elle est anglophone), j'avais préféré pour notre troisième échange l'emmener prendre un café dans un endroit plus confortable, un bar loin de la Cimade. Là elle m'avait raconté son périple : celui d'une exilée, une jeune femme de 20 ans seule. Et devant moi, elle avait longuement pleuré la perte de ses parents, les menaces de viol, la torture... Je me souviens aussi de cet homme tchétchène, obligé de me raconter les scènes de tortures (plongé dans une eau glacé, battu...) pour son recours. Ces personnes se confient plus naturellement à des gens en qui ils ont confiance qu'à un agent impassible de l'OFPRA.
 
L'autre point intéressant soulevé par la bande-dessinée de Zabus est l'hésitation du garçon à inventer une toute autre histoire. Car croyez-moi, cela arrive assez souvent, et c'est souvent ce qui fait perdre à ces exilés toute chance d'obtenir le fameux sésame. Car dans les centres d'accueil ou de rétention, le bouche à oreille fonctionne trop bien : on raconte qu'untel a obtenu des papiers en racontant telle ou telle histoire. Et tout le monde la reprend. Or les agents de l'OFPRA sont loin d'être stupides, et ils ont raison.

J'ai rencontré cette situation in vivo il y a deux ou trois ans. Un réfugié africain me racontait son périple, extraordinaire pour fuir son pays - il avait nagé sous l'eau pour sa cacher de la police plusieurs heures (?) puis avait intégré la troupe d'un cirque nomade pour traverser deux autres pays. Le lendemain, une autre bénévole écoutait la même histoire au mot près racontée par un autre réfugié. 
Ils ignoraient que l'on se réunissait afin d'évoquer chaque demande. Nous avons donc décidé de les convoquer à la même heure le même jour pour confronter leurs histoires. Au départ, ils ont nié puis ont fini par avouer que cette histoire faisait le tour des centres de détention (en Grèce et en Italie) et qu'ils croyaient pouvoir ainsi obtenir le statut de réfugié. 

J'ai eu l'occasion de lire le projet de loi sur l'immigration et j'espère réellement qu'il sera adopté car non seulement il réduira les délais d'attente (à 9 mois au lieu de 18-24 mois) pour obtenir une réponse et autorisera le demandeur d'asile à être accompagné par une personne (avocat, représentant d'une association, traducteur) lors de ce fameux entretien. 
J'espère aussi qu'il accordera plus de moyens à l'OFPRA et aux centres d'accueil. Ainsi, si votre demande d'asile est rejetée, sachez que le recours doit être écrit (avec une forme et des termes juridiques) en français - et que là vous êtes seuls. Seules les associations vous aident. Elles sont plusieurs en France et les bénévoles font un travail gigantesque. Au final, le pourcentage de déboutés est largement supérieur à celui des reçus, contrairement à ce que les médias ou les politiciens suggèrent (si mes souvenirs sont bons, 70% des demandes sont rejetées). 

J'ai une pensée pour tous ces réfugiés, pour les centaines d' entre eux qui meurent chaque jour en essayant de traverser la Méditerranée.  Cette lecture m'aura permis de ne pas les oublier. 

Wednesday, February 11, 2015

Et devant moi, le monde

Cette lecture aura été un vrai challenge pour moi. Pas pour le style, qui m'a vraiment plu (et qui me pousse à lire ses autres romans) mais le choix de Joyce Maynard de raconter sa liaison avec mon auteur préféré, J.D Salinger alors qu'elle était une très jeune étudiante. 

Le récit de Joyce ne s'arrête pas à cette seule année mais vous fait voyager à travers l'Amérique des années 60, 70 et 80. Joyce livre dans une autobiographie plus ou moins romancée, un formidable témoignage d'une période charnière pour la femme. 

Elle-même écrivain, elle livre ici à la presse toute sa vie en pâture, son enfance de petit génie, son adolescence cahotique dans un foyer familial brisé, ses problèmes de boulimie, d'anorexie, ce corps qu'elle n'arrive pas à maîtriser, ses échecs sentimentaux, son travail auprès des magazines, ses enfants, et sa quête absolue du bonheur. 

Un regard sans concession sur ses premiers écrits, où elle était devenue, sans le vouloir le porte-parole d'une jeunesse dans laquelle elle ne se reconnaissait pas. Comme sa mère qui rédigeait des articles pour des magazines défendant les valeurs familiales, elle juge très vite ses pairs et crée la polémique.

Lors de la parution de son premier article, Joyce a 18 ans et offre d'elle une image totalement à l'opposée de la vérité, maquillant ses faiblesses, ses doutes et sa vie, celle d'une recluse incapable d'adhérer à la vie estudiantine. Yale étant un échec, elle trouvera dans J.D Salinger un refuge. Joyce avait des parents extra-ordinaires, je l'écris ainsi car le poids est tel qu'ils lui compliqueront à jamais la vie. Un père unique, mythique qu'elle cherche absolument à retrouver à l'âge de 18 ans dans les traits du romancier américain le plus célèbre, à l'époque âgé de 53 ans.

Puis cette mère, à la fois étouffante et confidente, qui au fil des années s'éloigne et dont tout contact sera à l'avenir tendu. Alors que le cocon familial se délite, Joyce se cherche désespérement. 

La romancière raconte sa vie auprès de J.D Salinger. Comme je l'explique, il s'agit ici de mon auteur préféré qui fut le choix, lorsque son roman (et unique roman publié) The catcher in the rye (L'attrape-coeurs) fit le tour de monde, de partir s'installer dans la campagne de la Nouvelle-Angleterre et d'y vivre en ermite. Refusant dorénavant tout contact avec le monde de l'édition (cf.citation ci-dessous), qu'il juge très sévèrement et tout contact avec la presse. 

"Le manque de véritable don ou de pensée originale ne les empêche pas d'exiger toutes sortes de changements absurdes dans l’œuvre d'un écrivain, rien que pour prouver qu'ils ont un talent irremplaçable. Ils ont tant d'idées brillantes à proposer. Incapables de produire eux-même une seule ligne, ils sont obligés et déterminés à imprimer définitivement leur marque sur ton travail."

Je ne connaissais donc rien de la vie privée de mon auteur préféré à part son passé comme G.I. Et cela me convenait. Lire le livre de Joyce Maynard était donc pour moi une sorte de challenge personnel. J'y ai découvert un homme d'un rigueur extrême, dont l'isolement l'aura pousser dans ses retranchements et aura contribué à développer encore plus sa phobie sociale. L'homme est misanthrope. Excepté pour ses enfants, dont il est fou, la présence des autres l'insupporte. J.D Salinger se passionne pour l'homéopathie et préfère la compagnie des plantes à celle des hommes.
Il continue d'écrire mais refuse de publier ces œuvres. Je suis certaine qu'il a écrit encore sur la famille Glass. Aussi, sans doute comme des centaines de personnes, je suis frustrée de savoir que je ne lirai jamais ces écrits. 

Si vous n'avez jamais lu l’œuvre de Salinger, la famille Glass est une famille new-yorkaise dont les enfants (6) sont précoces et sont devenus célèbres en apparaissant dans un jeu radiophonique célèbre. Il y a Buddy, Seymour, les jumeaux Walt et Walker, Boo Boo, Franny, Zooey. J.D Salinger leur consacre 3 nouvelles publiées.

"Jerry écrit plusieurs heures par jour. Au cours des années qui ont suivi sa dernière publication, il a terminé au moins deux livres, dont les manuscrits sont à présent enfermés dans son coffre-fort".

L'homme est pétri de contradictions, il juge très sévèrement les jeunes auteurs (comme Joyce) qui rêvent d'être publiés et déclare préférer vivre en ermite mais ne cesse de revivre éternellement son passé avec ses enfants ou en écrivant à de très jeunes femmes écrivains. Comme Joyce, il a une relation tellement compliquée avec la nourriture, il ne mange presque rien. Ainsi, la viande doit être uniquement de l'agneau, cuit à 150°C, il refuse tout féculent, etc. Tout chez lui tourne à l'obsession ; celle du contrôle. Au final, difficile de dire si l'homme est heureux. Excepté lorsqu'il étudie l'homéopathie avec d'autres personnes, le monde est son ennemi. Il isole totalement Joyce qui finit par étouffer, humainement et artistiquement. 

"Tâche de bien comprendre que, à la minute où tu publies un livre, il t'échappe des mains. Arrivent alors les critiques, qui s'acharnent à se faire un nom en démolissant le tien. Et ils y parviennent."

Alors que Joyce voit sa carrière décoller, le New York Times veut publier ses articles, elle est confrontée à un terrible dilemme, car son amant la condamne sévèrement à ce sujet. 

"Publier c'est carrément la honte. Le pauvre nigaud qui s'y laisse prendre ferait aussi bien de descendre Madison Avenue le froc baissé"

Je n'en dirais pas plus. Quelque part, J.D Salinger reste un mystère. Et puis, cela ne remet absolument pas en cause ma passion pour son œuvre. D'ailleurs, je dirais même l'inverse, puisque Joyce confie que le romancier est très attaché à la famille Glass, qu'il la considère presque réelle (moi aussi) et qu'il a accumulé des tonnes d'informations sur chacun des membres, leur créant une véritable vie. Ironie du sort, Joyce n'a pas lu les nouvelles consacrées à cette famille unique lorsqu'elle vit avec lui, aussi elle ne prête pas attention à ces documents. 

C'est en lisant Franny and Zooey, Raise high the roof beam, carpenters, ou Seymour, an introduction (les 3 nouvelles consacrées aux Glass) qu'elle comprendra mieux a postériori les réactions de J.D lorsqu'il rencontre une enfant surdouée (violoniste), ou quand elle lui parle de ses propres parents, ayant poussé la créativité de leurs filles à leur paroxysme. Il condamne clairement ces gens qui transforment leurs enfants en marionnettes. 
Plus tard, elle retrouvera dans un autre enfant l'héroïne d'une des nouvelles de son recueil, Nine Stories.

Mais revenons au livre, si cette année passée auprès de l'écrivain aura éminemment compté dans la vie de Joyce, elle continue son récit. Ses difficultés à rebondir après leur terrible séparation, sa recherche perpétuelle de l'amour et la lente désintégration du cocon familial suite à la séparation de ses parents. 

Elle sait aussi regarder en arrière et juge avec honnêteté ses premiers écrits, ou comment elle s'est menti à elle-même (ce que condamnait violemment Salinger) en acceptant d'écrire des rubriques conseils (pour la famille) dans des magazines. Elle se ment à elle-même et aux autres en maquillant la vérité, comme sa mère qui faisait de même en omettant l'alcoolisme de son époux.  

Son récit est en tout point passionnant. J'ai dorénavant hâte de découvrir ses romans, dont le fameux "L'homme de la montagne".

Parallèlement, comme je l'ai précisé dans mon billet "Noyée..", j'ai décidé d'en apprendre plus sur mon auteur préféré, j'ai reçu le fameux livre Salinger - écrit après une enquête minutieuse de 8 ans et j'ai hâte de le découvrir.

Je ne crois pas qu'on doive chercher à "percer le mystère" qui entoure un artiste. Ainsi, ce n'est pas tant son processus de création qui m'intrigue (il écrivait tous les jours dans un petit bureau et en parlait comme un sacerdoce) mais le fait que cet homme vivait une vie totalement différente avant de tout quitter à l'âge de 40 ans lorsque le succès vient frapper à sa porte.

Je remercie donc Joyce Maynard même si je sais que J.D Salinger aurait détesté qu'elle publie ce roman. 



Editions Philippe Rey, traduction Pascale Haas, 462 pages

Sunday, February 8, 2015

Petit questionnaire sur nos habitudes de lecture


Je n'avais pas prévu de répondre à ce petit questionnaire, mais tel est le souhait de Marie-Claude donc me voilà à me creuser les méninges. J'ai commencé vendredi puis le week-end a pris le dessus. Mais puisqu'on parle de livres, ça ne devrait pas être difficile, n'est-ce pas ?

Un livre culte?
Un seul à emporter sur une île déserte ? Roman ou nouvelle ? Le choix est hyper difficile. 
- Le recueil des nouvelles de J.D Salinger - Une seule ? J'hésite entre Franny and Zooey et Seymour, an introduction.  La première probablement, car je l'ai lue et relue. 

Mais sinon : 
- Lonesome Dove de Larry McMurtry ou Tijuana Straits de Kem Nunn. 

Je sais je suis incorrigible. Mais bon, tout rentre dans mon sac à main !

Sans ce livre, je ne serais pas celle que je suis...
Ma réponse a failli être la même que celle de Marie-Claude car la lecture de Camus m'a profondément marqué. Mais en y réfléchissant, à l'adolescence, je me souviens avoir été marquée par Dalva de Jim Harrison. Il a confirmé ma passion pour les grands espaces et surtout la liberté, et puis la claque fut J.D Salinger qui me la donna ensuite par l'ensemble de son oeuvre. 

Comment choisis-tu tes livres ?
En premier lieu, mon humeur du jour puis l'histoire, l'intrigue, les mots .. je lis toujours une phrase ou deux d'un livre avant de l'acheter et parfois la couverture d'un livre suffit. Et puis forcément, je suis fidèle à plusieurs auteurs, et leur avis m'importent. Je suis aussi assez fidèle à Gallmeister. Rarement déçue par leurs choix. 
(ps : je n'avais pas relu la réponse de Marie-Claude, et surprise elle a aussi mentionné la couverture!)

C'est quoi ton genre de livres ?
J'avoue : la réponse de Marie-Claude pourrait être la mienne. J'aime être émue, surprise, happée, décontenancée, touchée, rire, et surtout être emportée loin loin de mon monde. Et au fil des ans, l'écriture a pris une part prépondérante.

Le livre : 

Avec cet(te) auteur(e), c'est à la vie à la mort : J.D Salinger.  (suivi de près par Kem Nunn)

Avec cet(te) auteur(e), le courant ne passe plus :  pas encore arrivé (je n'ai pas lu Roth donc...)

As-tu déjà laissé tomber un livre ? 
Oui mais je les compte sur les doigts d'une main..  Rarement parce que je n'ai pas aimé mais parce que je n'étais pas "d'humeur" pour ce genre de lectures à ce moment-là. Sinon, je suis plutôt persévérante et après j'écris une chronique assassine ;-)

Les livres t'ont-ils déjà poussé à faire des folies ?
Me tordre le cou dans le tramway pour découvrir le titre d'un livre lu par un autre passager (que j'ai parfois effrayé). Avoir dépensé presque 50 euros pour le livre de mon enfance qui n'est plus édité. 
Mais ma plus grande fierté : avoir acheté 30 livres d'un coup dans une librairie d'occasion du campus de la Seattle University. Le vendeur était allé chercher un énorme carton et j'ai du me trimballer la chose le restant de la journée et en transports en commun. 

Tu aimes les séries de plusieurs tomes ?
J'aime les pavés et les séries ! Quand on s'attache comme moi aux personnages, on ne peut être qu'heureux de les suivre dans de nouvelles aventures (je vous ai déjà parlé des Glass ? Franny, Zooey, Seymour?!) comme j'attends patiemment chaque année de retrouver Erlendur

Un endroit préféré où lire ?
L'hiver : sous la couette ou sous un plaid, mon chien et mes chats à mes côtés.
L'été : sur l'herbe, près d'un arbre, d'une rivière....

Plutôt corne page ou signet ?
Longtemps corne page, on m'a offert de jolis marque-pages mais je préfère les cartes de visite de boutiques ou librairies étrangères découvertes lors de mes voyages. Le format est parfait. 

As-tu déjà pensé à écrire un livre ?
Je ne connais pas une amoureuse des mots qui n'a jamais pensé écrire un livre. J'écris tout le temps. Un livre, ça me paraît difficile - je préfère commencer par une nouvelle. Ecrivain, mon rêve absolu.

Tu aimes relire ? 
So many books and so little time - je lis énormément et j'ai une PàL qui ne cesse de s'allonger mais j'ai découvert le pouvoir magique de la relecture. Lorsque je traverse une période difficile, retrouver les mots de mes auteurs préférés me fait énormément de bien. J.D Salinger en particulier, ou F.S Fitzgerald et quelques poètes. C'est comme rentrer chez soi que d'ouvrir leurs livres.

Que penses-tu du livre électronique ?
J'en ai acheté une il y deux ans car certains pavés ne rentraient pas dans mon sac ou impossible de les tenir dans les mains, quand on est debout, serré comme une sardine dans un tramway. Mais j'avoue que je ne l'ai pas touchée depuis des mois. Mais le côté pratique : j'ai pu télécharger tous les classiques gratuitement et le petit Nicolas de Sempé et relire l'Idiot de Dostojevski ne fait jamais de mal. 
Par contre, rien ne remplace un vrai livre, son odeur, le toucher, et je continue d'en acheter toujours et encore plus. Une maison sans livres m'effraie. 

Tu aimes parler de tes lectures ?
Comme Marie-Claude : mon blog répond à lui tout seul à cette question. Mais j'avoue être heureuse de pouvoir en échanger sur la blogosphère, car seule une autre amie lit beaucoup. Je suis un ovni. 

Une maison d'éditions ou une collection préférées ?
Gallmeister ! Je ne cesse d'en parler et leur collection Totem (hâte de découvrir leur nouvelle collection Neo Noir) - Zulma aussi avec plaisir. J'aime aussi beaucoup les éditions Points, Stock (romans et policiers) et Grasset (auteurs français) et j'allais oublier les éditions Métailié Noir - que j'adore.

Je vous invite, comme Marie-Claude, à répondre à ces questions sur vos blogs ou ici (aux questions qui vous "parlent") et j'irai lire vos réponses :-)

J'en profite pour dire qu'après avoir découvert vos blogs, je réalise que plusieurs d'entre vous, avez la chance de recevoir des livres directement des maisons d'édition. Vous ont-elles contactées ? Ou est-ce l'inverse ? J'ai lu récemment un billet où la personne disait qu'il ne fallait pas hésiter à les contacter directement. Je n'ai jamais osé pour ma part. 

Est-ce que je vais passer pour une folle si je me lance ? et ainsi répondre à la question sur ce nous poussent à faire les livres ;-)

Tuesday, February 3, 2015

Craquage de slip........

Il y a peu de temps je vous postais un billet "Noyée sous les livres..." ... je demandais si quelqu'un connaissait un docteur ès addictions livresques. Apparemment, malgré vos bons conseils, ça n'a pas fonctionné pour moi.

Même si je lis sans souci ces temps-ci, en enchainant les lectures avec plaisir, j'ai encore craqué ...

Cette fois-ci, je suis allée faire un tour dans ma libraire d'occasion préférée. Vrai de vrai, je cherchais un livre de Karen Blixen. Je ne l'ai pas trouvé mais j'ai déniché d'autres pépites :



1 - Un week-end dans le Michigan de Richard Ford. J'ai découvert Ford il y a un an grâce à son roman Canada et j'avais très envie de lire ses autres écrits. J'ai failli en acheter deux mais j'ai résisté (pour combien de temps?). 

2 - Le film m'a profondément marqué et j'ai toujours entendu dire que le roman de William Styron, Le Choix de Sophie, est encore plus impressionnant. Hâte de le découvrir ;-)

3 - J'aime beaucoup F.S Fitzgerald et étrangement je n'ai pas lu ce recueil de nouvelles (16 si mes souvenirs sont bons), intitulé "La fêlure". Le romancier américain est décédé peu de temps après avoir rédigé ce recueil. Je me le réserve lorsque j'aurai eu une crise de boulimie livresque et que le format des nouvelles me parlera plus. 



J'ai rendu ce soir deux livres empruntés à ma bibliothèque de quartier. J'avais mon chien dans les bras (heureusement qu'elle est rikiki), j'ai de la chance car les bibliothécaires sont très sympas et m'ont laissé faire mon tour tranquillement. J'ai encore deux livres à lire empruntés à la médiathèque mais j'ai pensé à mes vacances fin février et j'ai déniché :

4 - Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. J'ai beaucoup entendu parler de ce livre à sa sortie, et le romancier a un peu réalisé mon rêve en partant s'installer six mois au fin fond de la nature. Je viens de feuilleter le livre et je tombe sur sa liste idéale de lectures pour tenir six mois dans une dacha. J'ai déjà envie de le lire mais je vais résister...


5 - Agnès Desarthe ou une rencontre ratée. En 2012, j'ai lu Un secret sans importance et j'avais été énormément déçue, par l'histoire et le style. Puis la semaine dernière, j'ai lu la chronique de Laeti du blog Mes bulles d'air sur Une partie de chasse et elle m'a donné envie de lui donner une seconde chance. J'espère ne pas être déçue ! 

Et là j'entame la lecture du premier livre de Benjamin Wood : Le complexe d'Eden Bellwether, lu dans le cadre d'un challenge. 

Et vous, des craquages récemment ? Je sais que Laeti ou Nelfe et Mr K. ont craqué.......