Wednesday, August 19, 2015

Rédemption

C'est en flânant en librairie, ou devrais-je dire, en regardant chaque livre (fiction) de chaque rangée que j'ai croisé le premier roman de Matt Lennox, Rédemption. L'auteur canadien est dans la vraie vie militaire et avait déjà été remarqué par la presse après avoir publié plusieurs nouvelles. Son premier roman, The carpenter, titre original, avait croisé mon chemin auparavant en lisant l'un de vous. Je ne sais plus qui. Aussi, en voyant le livre sous mes yeux, je n'ai pas pu résister.

Et surtout, chose rare, je l'ai lu presque de suite - il n'a même jamais connu ma bibliothèque. C'est en relisant la quatrième de couverture ce matin pour rédiger ma chronique que j'ai réalisé que celle-ci induit totalement en erreur le lecteur. Les personnages cités, Lee et Stan, sont bien décrits mais Stan ne pense nullement que Lee est responsable de la mort de la jeune femme. Qui a écrit cette quatrième de couverture ?!

Après 17 années derrière les barreaux, Leland (Lee) King est libéré. De retour dans la petite ville natale d'Ontario où il a grandi, il y retrouve sa famille. Sa soeur, mariée à Barry, pasteur, qui lui a trouvé un emploi et un logement. Leurs trois enfants, dont Pete l'ainé, né d'un autre lit, que Lee n'a pas connu car il est né deux mois après son incarcération et enfin sa propre mère Irène. Cette dernière est malade, atteinte d'un cancer incurable. Lee est bien décidé à tourner la page et a entamé une nouvelle vie. Lui qui a appris le métier de charpentier en prison (et en semi-liberté à Toronto) accepte de travailler pour un ami de Barry dans des maisons individuelles. Le travail est difficile, l'hiver est âpre et Lee ne compte plus ses heures. Il a arrêté de boire en prison et se tient à carreau. Ses seules distractions sont les repas chez sa sœur qui tient toujours ses distances, les visites à sa mère, hospitalisée, et puis Helen, la serveuse du restaurant où Lee a pris ses habitudes. 
Lee et Helen commencent à se fréquenter. La vie semble reprendre ses droits. Parallèlement, on suit Stan, tout jeune retraité de la police qui découvre un soir le corps inanimé d'une jeune femme, Judy, dans sa voiture. Un suicide. Stan a du mal à accepter ce verdict sans appel et décide de prendre contact avec la seule famille de la victime, sa soeur jumelle. Il apprend que Judy fréquentait un bon à rien avant son suicide. 

Enfin, il y a Pete, 17 ans - le neveu de Lee, qui ignore tout du crime de son oncle et de ses origines (il est né dans une autre ville puis est revenu à l'âge de 8 ans avec sa mère lorsque celle-ci a épousé Barry). Pete  grandit dans un foyer très pieu, religieux. Barry prêche à toute heure du jour et de la nuit et tout tourne autour de la religion. Dans cette maison, aucun autre sujet n'est abordé. Pete a grandi dans le silence, ainsi lorsqu'il quitte le lycée subitement - il ne se confie à personne. Il travaille à la station service, possède son propre véhicule et rêve de partir vivre à l'ouest. En rencontrant son oncle, Pete croit enfin avoir trouvé ici un moyen de découvrir qui il est réellement. Mais l'homme en face de lui désire tout l'inverse. 

Peu à peu, les langues se délient, le passé ressurgit et chaque personnage voit son destin basculé. 

Copyright DR

Je ne veux pas en dire plus, sinon que j'ai plongé dans le roman avec une telle facilité que j'en ai été surprise au départ. Puis, j'avoue que j'ai connu quelques moments de doute ; disons qu'habituée à un rythme plus soutenu (et pourtant j'adore Kent Haruf), je me suis surtout insurgée de voir que Lee commençait à lâcher prise, à dérailler.  Lee n'est pas responsable mais ses vieux démons ressurgissent et me voilà à penser "Non, Lee ne fais pas ça".  

Ce qui m'a énormément marqué ici, c'est le poids du silence - ce poids assourdissant qui mène chacun à leur perte. Pas uniquement celui pesant comme un fardeau sur les épaules de Lee ou de Pete, mais aussi de Stan ou de Frank, ou d'Emilie dont Pete s'éprend. Ici, on sait mais on ne parle pas. Ce sont juste des silences maladroits, des regards furtifs - qui vous font comprendre que vous êtes "l'un d'eux".  Une petite ville qui a voulu effacer une tragédie ancienne en multipliant les offices religieux. Les églises sont nombreuses, on y passe son dimanche, on y joue de la musique, on parle de Dieu mais jamais des hommes, de la vie.

Et puis j'ai replongé dans ma lecture et les langues se sont déliés, et le malheur a frappé quand la vérité a surgi. Je repense à une phrase magnifique entendue dans le film Oriana Fallaci (vu dernièrement au cinéma) : "la vérité est un comme un acte chirurgical, elle fait mal mais elle guérit". 

Si le titre français, Rédemption, peut porter à confusion - je pense plus à cette vérité qui va finir par surgir et aider l'un des personnages à enfin se délester d'un poids et à croire en l'avenir. 

Un très beau roman, sombre, avec une vision des petites villes de l'Ontario que je ne connaissais pas. La découverte d'un auteur dont je ne manquerai pas de lire le prochain roman !  

En cherchant quelques infos sur le net à son sujet, j'ai trouvé une photo. Matt Lennox est toujours militaire, il a combattu en Afghanistan à deux reprises - j'ignore si cette expérience personnelle lui a appris à sonder les profondeurs de l'âme humaine, mais le résultat me pousse à penser que oui

Un roman noir étourdissant. 



Livre de Poche, Albin Michel, Traduction France Camus-Pichon, 401 pages

Monday, August 17, 2015

Craquage de slip



Un craquage de slip... estival ! Pour ceux qui comme moi prennent leurs grandes vacances fin août ou début septembre, il faut bien s'occuper entre temps ;-)  En lisant par exemple d'anciens billets de blogueuses (et blogueurs) exprimant leurs coups de cœur pour tel ou tel livre, puis en poussant la porte d'une librairie ... Et comme les cépages cette année, la récolte a été plutôt bonne ;-)


1. Les disparus de Daniel Mendelsohn : je me souviens d'avoir croisé ce pavé en librairie à plusieurs reprises mais à l'époque je n'avais pas sauté le pas. Comment ai-je fait pour ne pas lire ce chef d’œuvre ? Daniel Mendelsohn va remonter le temps pour comprendre ce qui est arrivé à son grand-oncle Shmiel, son épouse et leurs quatre filles dont il sait seulement qu'ils ont péri dans l'Est de la Pologne en 1941. Après avoir découvert des lettres déchirantes dans lesquelles Shmiel demande de l'aide à son frère installé en Amérique, l'écrivain décide de leur redonner une voix.   Hâte de lire ce pavé de 930 pages, mais je ne doute pas que je vais plonger en apnée dans ma lecture !

2. Fakirs d'Antonin Varenne : je rêve toujours d'acheter son dernier roman car j'avais adoré son livre Trois mille chevaux vapeur et je n'ai lu que du bien de Fakirs. Aussi, je n'ai pas trop hésité en l'achetant. Le Point le surnommait le nouveau pape du roman policier.  "Je ne crois pas aux accidents. Ni aux suicides. J'enquête sur des meurtres", telle est la philosophie du commissaire Guérin. La victime ? Un ancien fakir, Américain, ancien Marine, homosexuel et héroïnomane - rien que ça ! Mustgrave meurt sur scène, à Paris. Son meilleur ami John va demander de l'aide au commissaire Guérin, relégué au service des Suicides du 36 Quai des Orfèvres. Je pense que je ne vais pas résister longtemps !

3. Et de retour dans la librairie, je tombe sur Le mur, le Kabyle et le marin d'Antonin Varenne ! Même collection et encore une histoire qui mêle passé et présent, ici la guerre d'Algérie et un flic le jour qui boxe la nuit pour le compte d'un mystérieux commanditaire. Prix Quais du Polar 2012.

4. L'arbre aux haricots de Barbara Kingsolver : c'est Marie-Claude qui m'a fait découvrir cet auteur en la choisissant pour son challenge 50 Etats 50 romans (pour l'Arizona). Je n'ai pas pu résister en le voyant en rayon, car je ne pensais pas le trouver à Nantes aussi facilement. L'histoire est effectivement palpitante : Lorsque Taylor Greer décide de quitter le Kentucky, elle compte rouler au volant de sa coccinelle vers l'Ouest jusqu'à ce que sa voiture rende l'âme. Mais sur le parking d'un bar, elle croise une petite Indienne - cette rencontre va totalement bouleverser son destin... 

5. Rédemption de Matt Lennox : C'est en lisant une chronique signée de..., son nom m'échappe, que j'ai eu envie de le lire. Je n'avais pas noté le titre, ni le nom de l'auteur à l'époque mais en le trouvant en librairie, j'ai eu comme une révélation ! Et ma chronique ne devrait pas tarder, car je l'ai lu dans la foulée !


6. Le cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers : j'ai eu une sorte de crise qui m'a poussé à faire toutes les librairies d'occasion pour mettre la main dessus. Je suis allée dans une librairie prête à acheter le livre en neuf et ils ne l'avaient pas ! Finalement j'ai réussi à mettre la main dessus dans une édition Biblio du Livre de Poche que j'aime beaucoup. J'imagine que tout le monde a déjà lu ce classique de la littérature américaine, moi j'ai hâte de partir à la rencontre de Mick, pauvre et passionnée de musique, l'adolescente promène son petit bonhomme à travers les rues d'une ville du Sud.

7. La ballade du café triste de Carson McCullers : c'est en cherchant désespérément le roman précédent que j'ai croisé celui-ci une première fois, publié dans la même collection. Raisonnable je l'ai reposé à sa place, mais en me rendant une deuxième fois en librairie, impossible de résister une seconde fois. Hop, emballé !

8. Les jeux de la nuit de Jim Harrison : déjà, c'est signé Jim. Donc rien à dire, mais en plus il s'agit d'un recueil de trois nouvelles. Donc achat obligatoire ! Je vous mets l'eau à la bouche ? "Une jeune fille en quête de vengeance, un homme mût à la recherche de l'âme sœur, un autre en proie à des accès de violence les nuits en pleine lune..".

9. Le pull-over rouge de Gilles Perrault : pour mes lecteurs français, le titre dit tout. Pour les québécois, sachez que ce livre a totalement remis en question la peine de mort en France. Le dernier condamné à mort (et exécuté) a été en parti jugé coupable à cause de ce pull-over rouge, qui pourtant ne lui allait absolument pas. L'auteur avait mené sa propre enquête et avait démonté un à un tous les éléments en charge. Depuis, de nombreuses personnes ont remis en doute la culpabilité de ce jeune condamné (22 ans).

10. Banzaï de Carlos Bernatek : Les Editions de l'Olivier ont traduit ici l’œuvre d'un romancier majeur de la littérature argentine. L'histoire m'a vraiment attirée : "En simulant sa propre mort, il a quitté femme, enfant et travail. Du fond de sa mémoire ressurgit son enfance :  une petite ville des années 1960, le crash d'un avion bimoteur, la disparition d'une camarade et, mêlés à la population locale, d'anciens officiers nazis en fuite.. A mesure que les souvenirs affluent, ce mystérieux personnage tente d'affronter les démons du passé. 

11. Féroces de Robert Goolrick : c'est en me promenant sur un blog que j'ai découvert plusieurs billets sur Robert Goolrick et son coup de cœur pour ce romancier atypique. J'avoue que j'ai un peu peur de me lancer dans la lecture de ce livre culte car le sujet n'est pas franchement gai. Il va falloir que je me trouve des lectures plus légères !

Les Goolrick étaient des princes. Et tout le monde voulait leur ressembler. C'étaient les années 50, les femmes se faisaient des coiffures sophistiquées, elles portaient des robes de taffetas ou de soie, des gants et des chapeaux, et elles avaient de l'esprit. Les hommes préparaient des cocktails, des Gimlet, des Manhattan, des Gibson, des Singapore Ming, c'était la seule chose qu'ils prenaient au sérieux. Dans cette petite ville de Virginie, on avait vraiment de la classe, d'ailleurs on trouvait son style en lisant le New Yorker. Chez les Goolrick, il y avait trois enfants, tous brillants. Et une seule loi: on ne parle jamais à l'extérieur de ce qui se passe à la maison. À la maison, il y avait des secrets. Les Goolrick étaient féroces.

12. Arrive un vagabond de Robert Goolrick : le dernier livre paru en poche - vu son petit prix, je l'ai pris en même temps que Féroces. J'espère avoir le coup de foudre pour ce romancier car dorénavant j'ai deux de ses livres chez moi. Nous voici projetés à l'été 1948 à Brownsburg. Charlie Beale arrive en ville, chargé de deux valises : l'une contenait quelques affaires et des couteaux de boucher, l'autre une importante somme d'argent. Charlie y tombe amoureux à deux reprises : d'abord, il s'éprit de cette ville paisible de Virginie dont les habitants semblent vivre dans la crainte supportable d'un Dieu plutôt bienveillant. La preuve : il n'y avait encore eu jamais de crime à Brownsburg. Puis Charlie s'éprit d'une femme...

13. Body de Harry Crews : Dorothy Turnipseed quitte sa ville natale avec plein de projets en tête. Elle croise la route de "Muscle", le gourou du body-building qui va la transformer en Shereel Dupont - une des principales candidates au titre de Madame Univers ... C'est alors que la famille de Shereel, des péquenots qui promènent joyeusement leurs masses graisseuses, débarque dans l'hôtel de grand luxe où se tient le concours. Harry Crews nous offre ici une "hallucinante histoire d'excès et de limite qu'il mène jusqu'à son final explosif". Impossible de ne pas l'acheter !

14. 92 jours de Larry Brown - un tout petit livre à 2€ (Folio) qui m'a tenté car il parle du désespoir d'être un jour publié quand on est écrivain. 

15. Sarah Thornhill de Kate Grenville, aux Éditions Métailié. Dernier livre acheté et je sens qu'il va ne pas rester longtemps sur mon étagère (d'ailleurs il est déjà sur ma table de chevet). On ne laisse pas bébé Sarah dans un coin ! L'histoire est assez drôle : je trouve ce livre, le zieute, le prend puis je ne sais pas pourquoi, au moment de payer (pour les autres), je le repose. Et puis coup du sort : Métailié publie sur Facebook sa lecture du mois d'août : Sarah Thornhill ! Non mais, si ce n'est pas un message ? Donc me voilà repartie hier soir à sa recherche. Et j'ai bien failli ne plus le trouver ! Un seul exemplaire. Le plus drôle ? Le libraire m'a reconnu et n'a pu s'empêcher de sourire en me voyant de retour si vite !!!

Enfin, je souhaitais terminer ce billet avec les quatre livres que j'ai dénichés à Oxford à la plus célèbre des librairies, Blackwell's. J'aurais pu faire une razzia car Penguin a lancé une nouvelle collection regroupant les grands classiques avec des couvertures magnifiques. Mais je n'avais qu'une micro valise et j'ai décidé de résister (et ce fut difficile !)


Mais finalement, lorsque j'y suis retournée, j'ai décidé de suivre mon instinct qui m'a guidé vers .. le rayon d'auteurs étrangers. Les libraires y indiquaient leurs coups de cœur, j'ai été intriguée par deux auteurs, le premier chilien, l'autre allemand. N'ayant pas beaucoup de place dans ma mini valise, j'ai visé les livres de petite taille et d'auteurs que je ne connaissais pas. Autant faire des découvertes !
J'ai donc opté pour : 

16. The private lives of trees d'Alejandro Zambra. Alejandro est la nouvelle sensation littéraire chilienne. Son dernier livre était bien en évidence (mais trop volumineux). Et puis j'avoue que le titre m'avait déjà emballé (vous ai-je parlé de ma passion pour les arbres?!). A l'heure, où vous lirez ces mots, j'ai fini de le lire et mon billet doit arriver prochainement. La chance : ma bibli possède ses autres livres que j'ai hâte de découvrir.

17. The new sorrows of young W. d'Ulrich Plenzdorf aux éditions Pushkin. J'ai été attirée par sa petite taille mais surtout par la quatrième de couverture : "I was just a regular idiot, a nutcase, a show-off and all that. Nothing to cry about. Seriously" et la critique du Zeit : "The Catcher in the GDR-Rye".


Mon dernier achat était aussi un coup de cœur des libraires : Girl meets boy d'Ali Smith (18). Il me fallait bien quand même rapporté un livre signé d'un auteur britannique. J'avoue que j'adore la photo sur la couverture. Les critiques sont enjouées et si j'ai trouvé d'autres livres du même auteur, je n'ai pas pu résister à choisir celui-ci. Une fois à la caisse, le vendeur m'a confirmé que j'avais fait le bon choix, me parlant à nouveau du roman de Plenzdorf. 

Enfin, dernier roman (broché et volumineux) que j'ai rapporté acheté le premier jour : Go set a watchman d'Harper Lee (19) dont je vous ai déjà parlé dans Miscellanées et que j'ai très envie de lire. J'ai lu trois livres pendant mon séjour que j'avais emportés avec moi.

Une anecdote assez drôle : j'ai retrouvé un jour mes amies professeurs dans un salon de thé (pour fuir la pluie glaçante) et elles même étaient allées, de leur côté, à Blackwell's. Et mon amie américaine (l'autre est Lituanienne) me montre ainsi ses achats : 3 romans, deux du même romancier guatémaltèque Rodrigo Rey Rosa (les livres : The African shore et Severina). J'ai lu le premier chapitre de Severina et j'ai regretté de ne pas l'avoir acheté mais ma bibli possède tous ses autres romans (yes !), et le dernier... qui n'est autre que My documents d'Alejandro Zambra ! Ce livre volumineux que j'avais vu et pas acheté.  Bon, étant professeur de littérature sud-américaine, je lui fais confiance (elle m'a aussi conseillé deux autres romanciers).  Je suis donc revenue d'Oxford avec la ferme intention de lire plus de romans.... sud-américains et j'ai tenu ma promesse puisque je me suis procurée Banzaï et que j'ai créé une liste spéciale Amérique du Sud ;-)

Au total 19 nouveaux venus dans ma bibliothèque ! Heureusement que j'ai fait du tri car sinon ....c'était un peu la cata !

PS : sinon, celles et ceux qui me suivent sur Facedebouc savent que j'ai aussi craqué du côté de Gallmeister - 6 livres ! Oui, rien que ça ..  non mais, c'est pas sérieux, hein ?!  Lesquels, me direz-vous ? Je vous prépare un billet spécial aussi je garde un peu le suspense. Disons que j'ai encore passé pas mal de temps sur leur catalogue !

PPS : et hop deux autres livres d'occasion, chez Plon et 10/18 du même romancier américain, je vous en reparlerai bientôt !

Soit au total, 27 nouveaux livres ! Pfff... Je n'aurais jamais cru autant acheter !!!

Et vous, des nouveaux venus ? Un petit craquage de bobette côté québécois ?

Friday, August 14, 2015

Retour à Watersbridge

Hiver 1897. Une sage-femme regagne sa ferme dans le nord de l’État de New York, chargée de cadeaux pour les siens. L'y attendent les corps ensanglantés de son mari et de ses enfants gisant dans la neige. Seul Caleb, 12 ans, a échappé au massacre : il a tout vu de la grange où il s'était réfugié parmi les animaux. Mère et fils abandonnent ce qu'il reste de leur foyer pour s'engager au cœur d'une contrée hostile et glacée à la poursuite de trois tueurs aux foulards rouge. Au fil de la traque, traversée d'épisodes d'une violence sèche et brutale contrastant avec la luminosité et le silence des étendues poudreuses, on comprendra que leur soif de vengeance repose sur une imposture.. Le mensonge, le poids du pêché et la nature des liens du sang sont les catalyseurs troublants de cette équipée sauvage doublée d'un roman d'apprentissage.

En premier lieu, sachez que j'avais fait le vœu de lire ce livre depuis sa sortie, que je supportais mal de voir les autres blogueurs le lire .. et puis j'ai du attendre patiemment son arrivée à la BM pour enfin pouvoir le dévorer.  Et ce fut l'inverse, c'est le roman qui m'a dévorée tout entière !

En ayant lu la quatrième de couverture, je me voyais déjà partie dans les bois à la chasse à l'homme - or j'avais simplement évité de lire le titre : Retour à Watersbridge. James Scott  signe ici un puissant et implacable premier roman où il décrit avec la précision d'un horloger le massacre d'un homme et de quatre de ses enfants. Un homme pieux et religieux, mais d'origine indienne et dont la couleur de peau et son union à une femme blanche l'auront poussé à vivre loin de toute civilisation. Les Howell se sont donc installés loin de la ville. Le père qui a changé de nom en épousant la religion, se fait appeler Jora - son épouse, Elspeth est sage-femme et s'absente de longs mois chaque année pour rapporter de l'argent à la maison. Ils ont cinq enfants, Mary, Jesse, Emma, Amos et Caleb. Ce dernier dort dans la grange depuis qu'il a vu son père assassiner un homme un soir. Suffocant et victimes de cauchemars, il n'a trouvé son salut qu'auprès des animaux dont il partage le lit. 

James Scott vous livre dès la première partie une part de cet effroyable mensonge qui mènera toute la famille à leur perte. La pécheresse? Elspeth - femme pieuse mais qui est incapable de contrôler ses envies et surtout ses fantasmes. Son mari Jora le sait mais ne dit rien. La famille s'agrandit et vit à l'écart, isolée mais les enfants sont heureux. Ce bonheur fragile prend fin en l'hiver 1897. Lorsque Elspeth arrive chez elle, elle sent dans son cœur, son sang que quelque chose de terrible s'est produit en son absence. La neige a recouvert de son silence l'effroyable vérité mais tout lui apparait lorsqu'elle pénètre à l'intérieur de leur maison, à peine a-t-elle le temps de réaliser l'impensable qu'une volée de plombs vient lui déchirer le corps. C'est Caleb qui s'est emparé de l'arme de son père et qui vient de la méprendre pour l'un des trois assassins qu'il a aperçu. C'est aussi Caleb qui mettra le feu à la maison et brûlera ainsi les corps de ses frères et sœurs et de son père. C'est Caleb qui soignera le cœur meurtri de sa mère et prendra les armes. 

Copyright 
James Scott ne vous épargne rien : ni l'hiver froid et glacial, ni les détails sordides, ni cette envie de vengeance qui emparent les deux survivants. Une mère froide, souvent absente dont le lien avec ses enfants s'éloignaient au fil des ans - elle ne pense à eux que bébés, dépendant d'elle, à l'odeur sucrée et qui avec un peu de soins s'endormaient dans ses bras. Une fois grands, ils perdaient de leur magie et à peine de retour chez elle, elle songeait déjà à repartir. La mère et le fils vont parcourir cette terre glacée et meurtrière et croiser un vieux couple, victimes eux aussi de ses bandits et qui leur indiqueront la ville où sont allés se réfugier les assassins : Watersbridge

"Caleb s'efforça de résister au désir de fuir. Il redoutait de ne pas être à la hauteur des attentes de son père, qu'il aimait tellement à l'époque qu'il passait son temps à l'observer en secret, à essayer de copier sa démarche, ses attitudes, et même ses intonations. Jora l'avait immobilisé sur place d'une main ferme. "Celui qui se souvient de la correction prend le chemin de la vie. Mais celui qui oublie la réprimande s'égare"".  (p.91)

Que dire sinon que ce roman m'a vraiment perturbé, car il ne m'a jamais emmené là où je pensais aller. Et j'ai adoré ! J'étais comme aimantée à ces deux êtres meurtris et à leur procession funeste. Les deux-tiers du roman se passent à Watersbridge, où Elspeth est devenue Jora (je vous laisse découvrir...) qui hisse des blocs de glace du fond du lac Erié pour gagner de quoi nourrir sa famille et payer l'hôtel. Elle craint à chaque instant de voir surgir à chaque coin de rue un homme du passé. Caleb va  de son côté travailler au seul bordel de la ville espérant y croiser les assassins de sa famille mais va faire une rencontre qui va à jamais changer son destin.

Je ne veux pas vous gâcher le plaisir sinon vous dire que le mensonge d'Elspeth se répand dans le sang comme un venin et détruit des dizaines de personnes les condamnant à une mort certaine. Qu'il est difficile de condamner Elspeth car elle aura payé le prix fort mais que dire de ces familles à jamais meurtries par cette femme ? Et cet enfant Caleb qu'on a envie de protéger mais dont on comprend les tiraillements, les doutes et les peurs. James Scott joue avec vos nerfs et tant mieux !  

"Elle regarda Caleb chuter et mordit son écharpe pour étouffer son cri, par crainte d'alerter le géant ou son patron. Elle crapahuta dans la neige. Quand elle rejoignit le jeune garçon, il avait les cheveux collés par la sueur et des fragments de peau se détachaient de ses mains en sang. Elle approcha l'oreille de sa bouche. Rien. Elle aurait voulu ordonner à son cœur d'arrêter de battre, pour avoir le silence complet. Caleb respirait." (p. 358)

Le romancier américain m'a aussi totalement prise au dépourvue à la fin. Un livre à part dans mes lectures et dont Ron Rash a justement déclaré : "Un premier roman exceptionnel, par une nouvelle voix éclatante de la fiction américaine". 

Il ne fait aucun doute que je me précipiterais sur le prochain roman de ce jeune romancier (36 ans) ! 


Éditions Seuil, traduction Isabelle Maillet, 384 pages

Wednesday, August 12, 2015

All the light we cannot see

Quand j'ai commencé cette lecture, j'avais encore les quelques avis mitigés vus sur la toile (dont celui de Jérôme) en tête, mais j'avais enfin le roman entre les mains et je me suis donc lancée. Et je ne le regrette pas ! Est-ce l'esprit des vacances (alors que je suis de retour au travail) ? Le soleil, la chaleur ?J'ai tout simplement adoré replonger dans une période, pourtant sombre de notre histoire (la deuxième guerre mondiale) et suivre l'histoire de Werner et Marie-Laure. Je l'ignore mais je n'ai plus lâché le roman et j'ai terminé ma lecture (environ 300 pages) en une seule fois, émue par ce roman magnifique.

Ce livre a reçu le Prix Pulitzer, et si, pour moi, il n'atteint pas les mêmes sommets que d'autres romans au niveau du style, il reste néanmoins un formidable témoignage sur la guerre. Le roman débute dans les années 30 et suit la destinée de deux enfants : une petite fille française prénommée Marie-Laure, aveugle, et un petit orphelin allemand, prénommé Werner, parallèlement à la montée du nazisme. Lorsque la guerre éclate, on suit le destin d'un mystérieux diamant, confié aux bons soins du père de Marie-Laure.

J'ai été impressionnée par le talent de Doerr à décrire la lente et puissante main mise de ce dirigeant sur le peuple allemand, sur leur manière de penser. Ainsi, lorsque Werner, le jeune héros orphelin intègre cette école de prestige, il est effrayant de voir quels principes, idées et croyances lui sont assénées du matin au soir. Ici les faibles doivent tomber, disparaitre - l'exemple de son ami Frederick est terrible. Les enfants deviennent des monstres, prêts à tuer leurs congénères pour servir leur unique maître. Ici la pensée libre n'a plus sa place - les "penseurs" sont forcément des êtres pervers, faibles - qui risquent à tout moment de ne plus suivre la seule et unique pensée qui doit régner, celle du Führer. Werner n'y échappe pas au départ - faire partie de l'élite, pour un orphelin, être reconnu par le doyen comme supérieurement intellectuellement est forcément flatteur et Werner rejoint le front, persuadé de servir son pays. Mais déjà son idéal se fissure : l'attaque violente à l'encontre de Frederick, les premiers signes de la guerre, l'ostracisation des Juifs - peu à peu le doute s'immisce dans l'esprit de Werner. Il repense à sa sœur Jutta qui ne comprenait pas cette guerre et l'invasion de la France, pays cher à leur cœur. Tous ces éléments vont semer le doute dans l'esprit de Werner, jeune soldat âgé d'à peine 16 ans.

Parallèlement, on suit Marie-Laure, petite parisienne aveugle mais qui ne cesse de voir plus loin que nous. Marie-Laure s'est construite dans les pas de son père, passant ses journées avec lui et ses collègues au Muséum d'Histoire Naturelle. Elle y a apprend tant de choses sur les sciences (biologie, ethnologie, physique) et sur l'histoire. Elle s'échappe au côté du Capitaine Nemo et de Monte-Cristo, grâce à ses premiers livres en braille qu'elle lit et relit religieusement. A l'arrivée des troupes allemandes, son père l'amène à Saint-Malo, ville portuaire où elle fait la connaissance de son grand-oncle, Étienne - blessé par des éclats d'obus lors de la première guerre mondiale. Ce dernier n'est plus sorti de chez lui depuis plus de vingt-cinq ans. C'est Mme Manec, employée de la maison depuis plus de cinquante ans qui gère l'immense bâtisse de 6 étages au cœur de la ville fortifiée. L'homme se passionne pour les radios et garde précieusement les vieux 78 tours enregistrés par son frère Henri, le grand-père de Marie-Laure,  décédé pendant la première guerre. Celui-ci avait enregistré sur un phonogramme des émissions éducatives présentant aux enfants le monde merveilleux des sciences. Ces mêmes programmes que Werner et sa sœur Jutta écoutaient religieusement à l'orphelinat - ayant appris le français grâce à Frau Elena, la Sœur venue d'Alsace. La boucle est bouclée. La magie opère...

"Werner's mind drifts; he is thinking about the book in his lap, The Principles of Mechanics by Heinrich Hertz. He discovered it in the church basement, water-stained and forgotten, decades old, and the rector let him bring it home, and Frau Elena let him keep it, and for several weeks, Werner has been fighting through the thorny mathematics. Electricity, Werner is learning, can be static by itself. But couple it with magnetism and suddenly you have movement - waves. Field and circuits, conduction and induction. The air swarms with so much that is invisible! How he wishes he had eyes to see the ultraviolet, eyes to see the infrared, eyes to see radio waves crowding the darkening sky, flashing through the walls of the house"(p.58)

C'est évidemment la guerre qui va finir par réunir Werner et Marie-Laure - et un troisième personnage, un colonel allemand lancé à la poursuite du plus merveilleux des diamants, caché depuis des siècles au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris et confié aux soins du père de Marie-Laure.

J'avoue que la forme du roman, polyphonique avec des chapitres très courts, m'a quelque peu décontenancé au départ et ensuite j'ai vraiment apprécié ce choix narratif. On est à Paris, puis en Allemagne, puis à Saint-Malo (ville fortifiée merveilleusement représentée) puis à nouveau à Berlin et sur le front.

J'ignore si le fait de le lire en anglais à jouer ou non sur mon appréciation du livre, mais je l'ai trouvé plutôt bien écrit. Surtout les passages lorsque Anthony Doerr décrit les sensations et les émotions ressenties par le personnage de Marie-Laure, aveugle, comme lorsqu'elle décrit ses premiers pas sur la plage, la découverte de l'océan, le fameux passage constellé de bulots ou les milliers d'objets du Muséum d'Histoire Naturelle qu'elle a découvert en les touchant, les humant. J'ai été happée par la passion de Werner pour l'électronique (son carnet de notes où il se pose tout un tas de questions) ou celle de Frederick pour les oiseaux. J'ai adoré ces moments-là et je n'avais qu'une envie : trouver tous les livres cités ci et là par l'auteur américain, comme relire Jules Verne, me procurer les livres d'Audubon et puis continuer à en apprendre plus sur les sciences.

"Dr. Geffard teaches her the names of the shells - Lambis lambis, Cypraea moneta, Lophiotoma acuta - and lets her feel the spines and apertures and whorls of each in turn. He explains the branches of marine evolution and the sequences of the geologic periods; on her best days, she glimpses the limitless span of millennia behind her: million of years, tens of millions. (p.60).

Je pense que ce livre a raisonné en moi pour ces multiples raisons : enfant, j'adorais apprendre - grâce aux livres, mais aussi avec mon père, féru de géographie et de mon grand-père passionné par les plantes. Je revois mon frère démonter un réveil, une radio et même la télévision (il aura fallu l'intervention d'un réparateur ce coup-ci pour la réparer!).  Je me suis vue dans les pas de Marie-Laure arpenter les nombreux couloirs du Muséum, écouter les professeurs expliquer la vie d'un mollusque, sa fossilisation ou le professeur en gemmologie raconter la formidable histoire du diamant des Mers.  Et puis l'auteur s'amuse avec ses lecteurs, puisque les aventures du Capitaine Nemo coïncident avec celles de Marie-Laure et de Werner ainsi lorsque la petite fille compte les chapitres qui lui restent à lire, elle est au chapitre neuf - comme nous lecteurs. 

"The ocean. The ocean! Right in front of her! So close all this time. It sucks and booms and splashes and rumbles; it shifts and dilates and falls over itself; the labyrinth of Saint-Malo has opened onto a portal of sound larger than anything she has ever experienced. Larger than the Jardin des Plantes, than the Seine, larger than the grandest galleries of the museum. She did not imagine it properly; she did not comprehend the scale. 
When she raises her face to the sky, she can feel the thousand tiny spines of raindrops melt onto her cheeks, her forehead. She hears Mme Manec's raspy breathing, and the deep sounding of the sea among the rocks, and the calls of someone echoing off the high walls (...). (p.231)

En plus d'être un excellent page-turner, c'est un livre au goût doux-amer qui vous ramène à l'enfance, loin des ordinateurs et des réseaux sociaux, au plaisir simple d'apprendre, tout en dénonçant l'absurdité de la guerre et en n'épargnant personne. 


All the light we cannot see, Fourth Estate, 530 pages.