Showing posts with label roman canadien. Show all posts
Showing posts with label roman canadien. Show all posts

Wednesday, August 19, 2015

Rédemption

C'est en flânant en librairie, ou devrais-je dire, en regardant chaque livre (fiction) de chaque rangée que j'ai croisé le premier roman de Matt Lennox, Rédemption. L'auteur canadien est dans la vraie vie militaire et avait déjà été remarqué par la presse après avoir publié plusieurs nouvelles. Son premier roman, The carpenter, titre original, avait croisé mon chemin auparavant en lisant l'un de vous. Je ne sais plus qui. Aussi, en voyant le livre sous mes yeux, je n'ai pas pu résister.

Et surtout, chose rare, je l'ai lu presque de suite - il n'a même jamais connu ma bibliothèque. C'est en relisant la quatrième de couverture ce matin pour rédiger ma chronique que j'ai réalisé que celle-ci induit totalement en erreur le lecteur. Les personnages cités, Lee et Stan, sont bien décrits mais Stan ne pense nullement que Lee est responsable de la mort de la jeune femme. Qui a écrit cette quatrième de couverture ?!

Après 17 années derrière les barreaux, Leland (Lee) King est libéré. De retour dans la petite ville natale d'Ontario où il a grandi, il y retrouve sa famille. Sa soeur, mariée à Barry, pasteur, qui lui a trouvé un emploi et un logement. Leurs trois enfants, dont Pete l'ainé, né d'un autre lit, que Lee n'a pas connu car il est né deux mois après son incarcération et enfin sa propre mère Irène. Cette dernière est malade, atteinte d'un cancer incurable. Lee est bien décidé à tourner la page et a entamé une nouvelle vie. Lui qui a appris le métier de charpentier en prison (et en semi-liberté à Toronto) accepte de travailler pour un ami de Barry dans des maisons individuelles. Le travail est difficile, l'hiver est âpre et Lee ne compte plus ses heures. Il a arrêté de boire en prison et se tient à carreau. Ses seules distractions sont les repas chez sa sœur qui tient toujours ses distances, les visites à sa mère, hospitalisée, et puis Helen, la serveuse du restaurant où Lee a pris ses habitudes. 
Lee et Helen commencent à se fréquenter. La vie semble reprendre ses droits. Parallèlement, on suit Stan, tout jeune retraité de la police qui découvre un soir le corps inanimé d'une jeune femme, Judy, dans sa voiture. Un suicide. Stan a du mal à accepter ce verdict sans appel et décide de prendre contact avec la seule famille de la victime, sa soeur jumelle. Il apprend que Judy fréquentait un bon à rien avant son suicide. 

Enfin, il y a Pete, 17 ans - le neveu de Lee, qui ignore tout du crime de son oncle et de ses origines (il est né dans une autre ville puis est revenu à l'âge de 8 ans avec sa mère lorsque celle-ci a épousé Barry). Pete  grandit dans un foyer très pieu, religieux. Barry prêche à toute heure du jour et de la nuit et tout tourne autour de la religion. Dans cette maison, aucun autre sujet n'est abordé. Pete a grandi dans le silence, ainsi lorsqu'il quitte le lycée subitement - il ne se confie à personne. Il travaille à la station service, possède son propre véhicule et rêve de partir vivre à l'ouest. En rencontrant son oncle, Pete croit enfin avoir trouvé ici un moyen de découvrir qui il est réellement. Mais l'homme en face de lui désire tout l'inverse. 

Peu à peu, les langues se délient, le passé ressurgit et chaque personnage voit son destin basculé. 

Copyright DR

Je ne veux pas en dire plus, sinon que j'ai plongé dans le roman avec une telle facilité que j'en ai été surprise au départ. Puis, j'avoue que j'ai connu quelques moments de doute ; disons qu'habituée à un rythme plus soutenu (et pourtant j'adore Kent Haruf), je me suis surtout insurgée de voir que Lee commençait à lâcher prise, à dérailler.  Lee n'est pas responsable mais ses vieux démons ressurgissent et me voilà à penser "Non, Lee ne fais pas ça".  

Ce qui m'a énormément marqué ici, c'est le poids du silence - ce poids assourdissant qui mène chacun à leur perte. Pas uniquement celui pesant comme un fardeau sur les épaules de Lee ou de Pete, mais aussi de Stan ou de Frank, ou d'Emilie dont Pete s'éprend. Ici, on sait mais on ne parle pas. Ce sont juste des silences maladroits, des regards furtifs - qui vous font comprendre que vous êtes "l'un d'eux".  Une petite ville qui a voulu effacer une tragédie ancienne en multipliant les offices religieux. Les églises sont nombreuses, on y passe son dimanche, on y joue de la musique, on parle de Dieu mais jamais des hommes, de la vie.

Et puis j'ai replongé dans ma lecture et les langues se sont déliés, et le malheur a frappé quand la vérité a surgi. Je repense à une phrase magnifique entendue dans le film Oriana Fallaci (vu dernièrement au cinéma) : "la vérité est un comme un acte chirurgical, elle fait mal mais elle guérit". 

Si le titre français, Rédemption, peut porter à confusion - je pense plus à cette vérité qui va finir par surgir et aider l'un des personnages à enfin se délester d'un poids et à croire en l'avenir. 

Un très beau roman, sombre, avec une vision des petites villes de l'Ontario que je ne connaissais pas. La découverte d'un auteur dont je ne manquerai pas de lire le prochain roman !  

En cherchant quelques infos sur le net à son sujet, j'ai trouvé une photo. Matt Lennox est toujours militaire, il a combattu en Afghanistan à deux reprises - j'ignore si cette expérience personnelle lui a appris à sonder les profondeurs de l'âme humaine, mais le résultat me pousse à penser que oui

Un roman noir étourdissant. 



Livre de Poche, Albin Michel, Traduction France Camus-Pichon, 401 pages

Friday, June 12, 2015

Un goût de rouille et d'os

En allant découvrir une exposition consacrée au polar à la bibliothèque Floresca Guépin (qui ne situe pas du tout dans mon quartier), j'en ai donc profité pour emprunter Winter's Bone  de Daniel Woodrell et j'ai pensé à Cataract de Craig Davidson - mais il n'y était pas, par contre jai trouvé son recueil de nouvelles intitulé Un goût de rouille et d'os.

Je sais que vous pensez au film (que je n'ai toujours pas vu, j'avoue que j'ai un problème avec Marion Cotillard, elle m'agace) mais le pauvre Davidson n'y est pour rien!

Je vous livre ici la critique du journal Le Monde : "Une écriture aussi impitoyable qu'un uppercut, aussi cruelle et violente que peut l'être la vie, rythmée comme un match.. un grand livre".

Et ce livre me servira à débuter le challenge Le Canada en 12 romans contemporains (la faute à Marie-Claude). Pas mal, non ?

8 nouvelles composent ce recueil. Pour tout vous dire, j'ai eu un peu de mal à plonger dans l'univers de Davidson, comme si la Marion venait gâcher une nouvelle histoire d'amour en pointant le bout de son nez. Le livre est resté chez moi trois semaines sans que j'y touche puis la magie a opéré et j'ai enchainé les nouvelles les unes après les autres.

En premier lieu, le film d'Audiard est en fait inspiré par deux nouvelles distinctes du recueil (Un goût de rouille et La fusée), le réalisateur français a donc jouer de magie avec deux personnages solitaires pour créer son film. Car le point commun à l'ensemble des nouvelles, c'est bien l'extrême solitude des personnages. Même s'ils sont en couple, amis, entraineur et élève, père et fils, frère et sœur, au final ils sont toujours seuls - seuls face à leurs démons. Vous êtes prévenu. Ici le Canada n'a rien du pays d'Anne et de ses pignons verts !

Tous dévorés par des secrets inavouables : des peurs, des obsessions (sexuelles comme dans Friction) ou des sentiments  telle la culpabilité qui dévore un ancien boxeur dans De chair & d'os. La boxe, parlons-en : elle est très présente dans ce recueil - et soyons clairs, je trouve que Davidson excelle lorsqu'il parle de sport (la boxe dans deux nouvelles et le basket-ball dans Un bon tireur). Il sait parfaitement retranscrire l'atmosphère, le ring, la sueur, les coups donnés et ceux reçus et écrire sur ces êtres qui choisissent ainsi de recevoir des coups pour l'argent, pour la gloire ou pour faire pénitence. Des choix de vie qui les mènent sur un ring prêt à en découdre. Un vrai plaisir pour la lectrice que je suis ! Oui, j'ai eu un vrai coup de cœur pour plusieurs nouvelles.

Comme j'ai beaucoup aimé la relation père-fils dans la nouvelle consacrée au basket-ball. Davidson vous confronte à ces histoires d'êtres brisés, cassés - souvent par leur propre fait -  comme ici ce père qui va tout sacrifier pour la réussite de son fils. Une nouvelle marquante, comme celle sur l'orque (La fusée), étrange parabole sur la vie et la mort.

Oui, j'ai vraiment aimé certaines nouvelles - où la sueur, le sang se mêlent à une certaine excitation. Du grand.

Mais j'ai trouvé l'ensemble légèrement inégal. J'avoue que j'ai lu Un usage cruel avec quelques difficultés (combats illégaux de chiens), même si j'ai adoré la fin (la toute fin). Il faut s'accrocher et résister à l'envie de fermer les yeux plusieurs fois ! Mais je tiens à remercier l'auteur canadien de nous présenter ici des personnages moins aimables, des personnes qui, je l'avoue, existent, mais dont l'univers me reste totalement étranger. Le romancier canadien vous force ici à ouvrir les yeux. La violence est là, physique, mentale, psychologique - elle nous entoure, nous accompagne, nous paralyse, nous pousse à agir ...

Je ne me suis pas vraiment retrouvée dans Insomnies, Friction (même si le style est là, et les personnages succulents) ou la plus longue nouvelle (71 pages), Précis d'initiation à la magie moderne. Les turpitudes de ces personnages me parlant moins sans doute, j'ai trouvé Davidson moins incisif - moins intrépide.  J'ai trouvé dommage de terminer sur cette dernière nouvelle.

Il reste que j'ai découvert un auteur génial et les billets enthousiastes de Gab sur Juste être un homme (la boxe encore...) et de Marie-Claude sur Cataract City  me confirment qu'il faut que je me les procure rapidement!


Un goût de rouille
Un bon tireur
Un usage cruel ♥(♥)
La fusée
Insomnies
Friction ♥(♥)
De chair & d'os
Précis d'initiation à la magie moderne





Albin Michel, Terres d'Amérique, traduction Anne Wicke, 292 pages

Monday, November 10, 2014

Les saisons de la solitude

Je viens de finir le roman de Joseph Boyden, Les saisons de la solitude. J'ai découvert cet auteur canadien, récompensé en 2008 par le plus grand prix littéraire canadien, Le Giller Prize. L'auteur, d'origine Cree nous offre ici une œuvre magnifique, celle d'un roman à deux voix, deux voix liées par les liens du sang, celle de Will, un ancien pilote plongé dans le coma, et celle d'Annie, sa nièce. Tous deux Cree, originaires de Moonsonee, la famille Bird nous entraine dans son histoire, celle du peuple indien, déchiré entre ses racines, sa culture et le monde moderne. 

Alors que Will, plongé dans le coma, se remémore sa vie et et l'histoire de son peuple à travers les derniers mois passés dans la nature sauvage des forêts canadiennes, traversant le pays et le siècle à bord de son hydravion, sa nièce Annie, trouve dans ce silence la force de lui raconter son périple entamé pour retrouver sa jeune sœur, Suzanne, de Toronto, à Montréal jusqu'à New York où elle failli y perdre corps et âme. Cette fresque à la fois individuelle et familiale mais aussi culturelle, celle du peuple Cree, m'a immédiatement emportée. 

Joseph Boyden a signé ici une œuvre majeure (il me reste à découvrir rapidement ses deux autres romans, Le chemin des Âmes et Dans le grand cercle du monde) où il rend un vibrant hommage à la culture indienne, celle des Cree, ses ancêtres.  Mais surtout, il sait démontrer à travers ces personnages le lien originel qui unit ce peuple à la nature - et ce qui déroute souvent l'homme blanc, comme le détachement face à certaines choses (le personnage d'Antoine à la fin du roman en prison est un bon exemple). Un regard sur la vie très éloigné de la vision du monde moderne qui va chambouler le lecteur.


Le choix de l'auteur d'entremêler deux voix, celle du passé et de l'avenir, permet de couvrir près de cent ans de l'histoire de cette famille, de ce peuple et de ses recherches perpétuelles pour perpétuer cette culture ancestrale.  Annie sera celle qui va se confronter au monde moderne, à l'opposé des croyances, celle qui noie son désespoir dans l'alcool et la drogue dans le monde factice de la mode mais qui en fait ne rêve que d'aller tuer le castor ou la martre pour leurs fourrures.  Elle arrachera de ce monde sans pitié un autre indien, venu, comme des centaines d'autres, s'échouer dans les bas-fonds de la ville. Âmes indiennes égarées, broyées par ce monde sans pitié. Will, son oncle, rêve de retrouver sa jeunesse, et de vivre à nouveau comme un homme libre, comme ses ancêtres Cree. Il commet l'irréparable et décide de faire face à ses multiples démons (l'alcool en est) en allant affronter la nature sauvage. 

J'avoue que j'ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman, puis j'ai plongé et ensuite à nouveau j'ai éprouvé quelques difficultés, pourtant je suis passionnée par les tribus indiennes. D'où une sorte de sentiment de culpabilité. J'ai passé presque une semaine pendant mon road trip en terre indienne et j'aimerais énormément retourner à la rencontre de ces tribus l'an prochain.  Sachez qu'ici on parle chasse, pêche, on tue l'animal, on le dépèce mais on le respecte profondément et on ne jette rien. Comme les indiens des plaines (les Lakota avec le bison), les indiens Cree tuent l'animal mais récupèrent tout, la graisse, les boyaux, la peau et remercient Mère Nature de leur apporter nourriture et soleil en faisant des offrandes. L'auteur emploie beaucoup de mots indiens et arrive à transmettre ici les plus profondes croyances d'un peuple souvent ignoré. 

Je me dois de préciser que le terme Cree est celui employé par les blancs (français ou anglais), ils se nomment en réalité Nēhilawē  et leur population approche les 200 000 âmes dont la présence recouvre une grande partie du Canada. Ils sont aussi présents aux États-Unis où ils partagent souvent des réserves avec les indiens Ojibwés.  Will Bird et sa nièce Annie sont des Moose Cree - originaires d'Ontario, ils vivent dans l'estuaire de la Moose River. 


"J'ai réveillé quelque chose en venant dans cet endroit appelé Rivière Fantôme, quelque chose à l'intérieur de moi, mais aussi à l'extérieur. De nombreuses nuits après avoir tué l'orignal, ses cris m'ont tiré de mon sommeil. Au début, je me disais que mon esprit me jouait des tours, et je suis persuadé que c'était en partie vrai. Mais ces cris, ils ne disparaissaient pas, et je restais couché, les yeux grands ouverts, dans mon askihkan, le fusil serré dans mon poing."

Je n'ai eu aucun mal à m'attacher à cette famille, à ces personnages - Joseph Boyden sait parfaitement dépeindre la vie de cette communauté et le lecteur a l'impression d'être l'un des leurs.  Le romancier réussit à produire un roman profondément visuel, il ne m'était jamais difficile de visualiser dans ma tête les paysages enneigés, ou les visages magnifiques des deux nièces ou celui du vieil indien et de son épouse. J'avoue : j'ai eu du mal à leur dire au revoir.

La bonne nouvelle pour moi fut la fin du roman, je m'étais imaginée une fin toute différente et je dois dire que l'auteur a réussi à me redonner foi en l'humanité avec cette fresque familiale. J'ai maintenant très envie de découvrir son premier roman, Le chemin des âmes, qui raconte la vie d'Elijah, l'aïeul de Will - et son dernier livre, Le Grand Cercle du Monde que j'avais déjà inscrit sur ma wishlist pour Noël !