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Friday, August 14, 2015

Retour à Watersbridge

Hiver 1897. Une sage-femme regagne sa ferme dans le nord de l’État de New York, chargée de cadeaux pour les siens. L'y attendent les corps ensanglantés de son mari et de ses enfants gisant dans la neige. Seul Caleb, 12 ans, a échappé au massacre : il a tout vu de la grange où il s'était réfugié parmi les animaux. Mère et fils abandonnent ce qu'il reste de leur foyer pour s'engager au cœur d'une contrée hostile et glacée à la poursuite de trois tueurs aux foulards rouge. Au fil de la traque, traversée d'épisodes d'une violence sèche et brutale contrastant avec la luminosité et le silence des étendues poudreuses, on comprendra que leur soif de vengeance repose sur une imposture.. Le mensonge, le poids du pêché et la nature des liens du sang sont les catalyseurs troublants de cette équipée sauvage doublée d'un roman d'apprentissage.

En premier lieu, sachez que j'avais fait le vœu de lire ce livre depuis sa sortie, que je supportais mal de voir les autres blogueurs le lire .. et puis j'ai du attendre patiemment son arrivée à la BM pour enfin pouvoir le dévorer.  Et ce fut l'inverse, c'est le roman qui m'a dévorée tout entière !

En ayant lu la quatrième de couverture, je me voyais déjà partie dans les bois à la chasse à l'homme - or j'avais simplement évité de lire le titre : Retour à Watersbridge. James Scott  signe ici un puissant et implacable premier roman où il décrit avec la précision d'un horloger le massacre d'un homme et de quatre de ses enfants. Un homme pieux et religieux, mais d'origine indienne et dont la couleur de peau et son union à une femme blanche l'auront poussé à vivre loin de toute civilisation. Les Howell se sont donc installés loin de la ville. Le père qui a changé de nom en épousant la religion, se fait appeler Jora - son épouse, Elspeth est sage-femme et s'absente de longs mois chaque année pour rapporter de l'argent à la maison. Ils ont cinq enfants, Mary, Jesse, Emma, Amos et Caleb. Ce dernier dort dans la grange depuis qu'il a vu son père assassiner un homme un soir. Suffocant et victimes de cauchemars, il n'a trouvé son salut qu'auprès des animaux dont il partage le lit. 

James Scott vous livre dès la première partie une part de cet effroyable mensonge qui mènera toute la famille à leur perte. La pécheresse? Elspeth - femme pieuse mais qui est incapable de contrôler ses envies et surtout ses fantasmes. Son mari Jora le sait mais ne dit rien. La famille s'agrandit et vit à l'écart, isolée mais les enfants sont heureux. Ce bonheur fragile prend fin en l'hiver 1897. Lorsque Elspeth arrive chez elle, elle sent dans son cœur, son sang que quelque chose de terrible s'est produit en son absence. La neige a recouvert de son silence l'effroyable vérité mais tout lui apparait lorsqu'elle pénètre à l'intérieur de leur maison, à peine a-t-elle le temps de réaliser l'impensable qu'une volée de plombs vient lui déchirer le corps. C'est Caleb qui s'est emparé de l'arme de son père et qui vient de la méprendre pour l'un des trois assassins qu'il a aperçu. C'est aussi Caleb qui mettra le feu à la maison et brûlera ainsi les corps de ses frères et sœurs et de son père. C'est Caleb qui soignera le cœur meurtri de sa mère et prendra les armes. 

Copyright 
James Scott ne vous épargne rien : ni l'hiver froid et glacial, ni les détails sordides, ni cette envie de vengeance qui emparent les deux survivants. Une mère froide, souvent absente dont le lien avec ses enfants s'éloignaient au fil des ans - elle ne pense à eux que bébés, dépendant d'elle, à l'odeur sucrée et qui avec un peu de soins s'endormaient dans ses bras. Une fois grands, ils perdaient de leur magie et à peine de retour chez elle, elle songeait déjà à repartir. La mère et le fils vont parcourir cette terre glacée et meurtrière et croiser un vieux couple, victimes eux aussi de ses bandits et qui leur indiqueront la ville où sont allés se réfugier les assassins : Watersbridge

"Caleb s'efforça de résister au désir de fuir. Il redoutait de ne pas être à la hauteur des attentes de son père, qu'il aimait tellement à l'époque qu'il passait son temps à l'observer en secret, à essayer de copier sa démarche, ses attitudes, et même ses intonations. Jora l'avait immobilisé sur place d'une main ferme. "Celui qui se souvient de la correction prend le chemin de la vie. Mais celui qui oublie la réprimande s'égare"".  (p.91)

Que dire sinon que ce roman m'a vraiment perturbé, car il ne m'a jamais emmené là où je pensais aller. Et j'ai adoré ! J'étais comme aimantée à ces deux êtres meurtris et à leur procession funeste. Les deux-tiers du roman se passent à Watersbridge, où Elspeth est devenue Jora (je vous laisse découvrir...) qui hisse des blocs de glace du fond du lac Erié pour gagner de quoi nourrir sa famille et payer l'hôtel. Elle craint à chaque instant de voir surgir à chaque coin de rue un homme du passé. Caleb va  de son côté travailler au seul bordel de la ville espérant y croiser les assassins de sa famille mais va faire une rencontre qui va à jamais changer son destin.

Je ne veux pas vous gâcher le plaisir sinon vous dire que le mensonge d'Elspeth se répand dans le sang comme un venin et détruit des dizaines de personnes les condamnant à une mort certaine. Qu'il est difficile de condamner Elspeth car elle aura payé le prix fort mais que dire de ces familles à jamais meurtries par cette femme ? Et cet enfant Caleb qu'on a envie de protéger mais dont on comprend les tiraillements, les doutes et les peurs. James Scott joue avec vos nerfs et tant mieux !  

"Elle regarda Caleb chuter et mordit son écharpe pour étouffer son cri, par crainte d'alerter le géant ou son patron. Elle crapahuta dans la neige. Quand elle rejoignit le jeune garçon, il avait les cheveux collés par la sueur et des fragments de peau se détachaient de ses mains en sang. Elle approcha l'oreille de sa bouche. Rien. Elle aurait voulu ordonner à son cœur d'arrêter de battre, pour avoir le silence complet. Caleb respirait." (p. 358)

Le romancier américain m'a aussi totalement prise au dépourvue à la fin. Un livre à part dans mes lectures et dont Ron Rash a justement déclaré : "Un premier roman exceptionnel, par une nouvelle voix éclatante de la fiction américaine". 

Il ne fait aucun doute que je me précipiterais sur le prochain roman de ce jeune romancier (36 ans) ! 


Éditions Seuil, traduction Isabelle Maillet, 384 pages

Tuesday, April 28, 2015

Une disparition inquiétante

J'attendais patiemment de pouvoir lire ce policier suite au billet très positif de Marie-Claude. Une disparition inquiétante - Première enquête du commandant Avraham (la suite est donc déjà annoncée) se déroule à Holon en Israël. 

Avraham "Avi" Avraham (vous lisez bien) est commandant à la brigade des mineurs de la ville d'Holon. Un soir, une dame très effacée Hannah Sharabi vient signaler la disparition de son fils aîné, Ofer. Celui-ci, âgé de 15 ans est parti au lycée comme tous les matins mais n'est pas revenu. Le commandant lui explique que son fils a sans doute fugué ou trouvé une petite amie, mais la mère décrit un fils sérieux et responsable, plutôt timide. Le lendemain, le jeune homme n'a toujours pas refait surface et son téléphone portable est resté dans sa chambre. 

Peu à peu, le commandant comprend qu'il ne s'agit pas d'une fugue et qu'il est arrivé quelque chose à Ofer mais toutes les pistes explorées ne mènent à rien. L'homme interroge alors l'un des voisins de l'immeuble, Zeev Avni, professeur d'anglais qui avait donné des cours d'anglais au jeune Ofer. Celui-ci se montre plutôt empressé de parler au policier et participe de manière active aux recherches et aux battues. Peu à peu, le lecteur découvre la personnalité très trouble de ce trentenaire, marié à Mikhal, père d'un jeune enfant, qui se rêve écrivain et qui veut absolument participer à l'enquête.

Entre lui et Avraham commence alors un jeu étrange. Parallèlement, le commandant Avraham doit gérer dans son équipe la présence d'un jeune policier aux dents longues, Eyal Sharpstein et compte sur le soutien d'Eliyaou Maaloul, un vieux de la vieille. Chaperonné par son amie Ilana Liss, le commandant tente de comprendre ce qui a pu arriver à Ofer et surtout comprendre sa personnalité. La mère, très effacée, élève seule ses trois enfants, dont Danite, la soeur cadette lourdement handicapée lorsque son époux, mécanicien dans le transport maritime part pour de longues semaines en mer. 

Je n'en dirais pas plus sous peine de révéler quelque peu l'histoire, mais sachez que ce livre est passionnant et foisonnant. Passionnant parce que Dror Mishani prend le temps, dans ce premier roman, de nous présenter son personnage principal, Avi Avraham (sa famille, son appartement, sa vie personnelle, sa rencontre avec Marianka, etc.) mais également son lieu de travail et ses collègues. Foisonnant car le romancier ne laisse pas de temps mort, et alterne entre Avi et Zeev.

"Ils se promenèrent dans les rues de Holon. Elle observa les immeubles, le visage des passants, les vêtements qu'ils portaient, comme si elle avait atterri à New York ou était en mission secrète. Ici, elle marchait moins vite qu'à Bruxelles. Ils allèrent partout sauf dans une rue où Avraham Avraham  ne pouvait pas retourner et qu'il s'arrangea pour éviter." (p.312)

La personnalité de ce policier jeune (fin de la trentaine) est agréable et amusante. Ainsi, sa passion est-elle de regarder les séries policières américaines (ou les enquêtes d'Hercule Poirot) et de démonter toutes les intrigues et trouver de nouveaux coupables à la fin. Vivant seul, se consacrant à son travail, il est méticuleux et patient. A travers lui, le lecteur découvre la vie en Israël et on est assez loin de l'univers de Tel Aviv Suspects, autre polar israélien lu ce mois-ci. Si vous avez regardé la série américaine Law&Order avec l'inspecteur Goren (Vincent d'Onofrio), ils en ont en commun cette méticulosité et cette analyse psychologique, sociétale et comportementale des victimes et des suspects. 

Le rythme n'est pas lent mais il est soutenu sans être pressant. J'ai aussi l'image de l'inspecteur Colombo en tête pour le côté brouillon du policier (il n'a pas un physique avantageux, il semble peu porter sur le style vestimentaire, il n'est pas charismatique). 

Au début, j'ai eu un peu peur car le personnage de Zeev Avni m'horripilait, mais très vite j'ai été happée par l'enquête. Et surtout, j'ai beaucoup aimé le twist final où le romancier israélien surprend tout le monde et met en boite la lectrice que je suis.  

Pour information, ce livre est sorti en poche récemment et je sais qu'une nouvelle enquête a été publiée récemment (en broché). J'ignore combien de temps vais-je pouvoir résister avant de me jeter dessus....



Seuil, traduction Laurence Sendrowicz, 320 pages



Sunday, November 30, 2014

En finir avec Eddy Bellegueule

J'ai lu ce livre d'une seule traite, ce matin. Réveillée à 8h00, je l'ai terminé à 9h20 - presque assommée par cette lecture. J'avais lu deux ou trois critiques du livre, et j'avais très envie de le découvrir. Alors quand une collègue s'est proposé de me le prêter, j'étais ravie. Mais j'ignorais que cette lecture serait aussi violente

Edouard Louis a 21 ans - Eddy Bellegueule, c'est lui. Enfin, c'était lui - parce qu'un jour, il lui a dit définitivement adieu. Un nom pareil ça ne s'invente pas, et pourtant c'est celui qu'il a réellement porté, jusqu'à ce qu'à 17 ans, il quitte son village, sa famille, les gens du village pour la grande ville, Amiens. Il m'est difficile d'écrire "une critique" sur ce livre autobiographique. 

"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ?Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici."
En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

Eddy est né dans une famille très pauvre du Nord de la France, troisième enfant d'une fratrie de 5, il est très vite isolé des autres : la faute à sa voix fluette et son comportement efféminé dans un monde qui ne supporte aucune différence, quelle soit sexuelle, religieuse ou culturelle.  Eddy décrit ici la misère, une misère à la Germinal, au point qu'à certains moments j'avais l'impression que le roman avait été écrit dans les années 50 et non dans les années 90. Une vie de misère, en proie à l'échec social, la violence dans les mots, les gestes (et l'inceste) et l'abus d'alcool (le pastis étonnement) dominent la vie quotidienne.

Ici tout se reproduit de génération en génération, inexorablement : on passe du collège à l'usine. Ici on boit pour oublier. Ici on ne supporte aucune différence. Le racisme ordinaire, l'homophobie - ici tout est multiplié à l'infini. Ici tout est laid et triste. Ici les enfants grandissent vite, se saoulent, tombent enceintes ou finissent en prison. Alors quand Eddy naît, il bouscule tout sur son passage : il n'aime ni le foot, ni la télévision, ni les filles. Il est différent. 

Eddy aimerait tant être intégré, reconnu, être aimé mais pour sa survie, il va devoir faire un choix. Une histoire très forte, celle d'Eddy devenu Edouard. Un livre fort, une claque. J'allais publier ce billet en terminant sur ses mots, mais en échangeant avec ma soeur, j'ai aussi réalisé la violence des propos d'Eddy, il a 21 ans et ce livre est un véritable règlement de comptes avec sa famille. Il manque à ce roman un droit de réponse à cette famille. J'imagine mal en effet ses proches apprécier ces propos (et ces révélations sur ces incestes). Finalement, j'ai ressenti un certain malaise mais cela ne doit en aucun cas être une excuse pour ne pas lire ce témoignage, sur une autre France, très méconnue. 

Si l'histoire est extrêmement forte et violente, le style est parfois faible et surtout j'ai souffert de l'absence de chronologie (la narration fonctionne par thèmes (père, mère) pour raconter sa vie) et parfois il m'était difficile de me repérer or ici on ne court que sur une dizaine d'années de la vie d'un garçon.