Difficile de passer outre ce roman, car j'en ai entendu parler un peu partout - et comme vous le savez déjà, j'aime beaucoup Gallmeister. Ce livre ne cessait de me faire de l'oeil. Je me suis donc lancée dans la découverte du premier roman d'Ayana Mathis, Les douze tribus d'Hattie.
J'ignore si mon idée était la bonne, je pense que j'avais encore en tête Americanah quand j'ai entamé le roman, et ce n'était pas lui rendre de justice de chercher la comparaison. Ainsi, le début a été plutôt ardu, je l'avoue. Et puis la magie a fini par opérer.
L'histoire démarre en 1923 - La jeune Hattie arrive avec ses soeurs et sa mère en gare de Philadelphie. Une nouvelle vie s'ouvre à elle, loin de sa Georgie rurale, du Sud profond et de la ségrégation. Mais à peine ses 16 ans fêtés, qu'Hattie est déjà mariée à August et enceinte. Hattie accouche de jumeaux qui incarnent le début d'une longue série de grossesses: cinq fils et six filles vont naître, et une petite-fille rejoindra la famille pour former ses douze tribus.
Chacune d'entre elle va raconter à travers sa vie l'histoire d'une famille Noire américaine pauvre au 20ème Siècle. Hattie est le lien qui unit les douze tribus. Ses enfants ont grandi tous profondément marqués par le tempérament dépressif, agressif et froid de leur mère.
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L'histoire commence avec une Hattie, jeune et jolie, décidée à prendre sa vie en main. Encore elle-même un bébé, elle accouche en 1925 de ses jumeaux, Philadelphia et Jubilee (leurs noms célèbrent cette nouvelle vie pleine d'espoir). Mais très vite la dure réalité les rattrape. August est immature et incapable de s'occuper si jeune d'une famille. Très vite l'argent vient à manquer et les hivers sont rudes. Les enfants tombent malades et leurs décès prématurés vont entrainer Hattie dans une profonde dépression qui ne la quittera plus. Avec eux est partie la promesse d'une autre vie. Hattie ne s'en remettra pas. Les années passent, ses enfants grandissent et quittent le nid familial. Hattie ne supporte plus sa vie de couple, August est un flambeur qui passe ses soirées dans les clubs et trompe sa femme. Pourtant, le couple se retrouve au lit où leur attirance sexuelle est toujours là. Les enfants continuent de naître.
"L'odeur du sexe remplit la petite pièce. Quand Darla se leva pour tripoter le ventilateur de la fenêtre, elle ne prit pas la peine de s'envelopper dans le drap comme l'aurait fait une fille plus convenable. Elle avait des fesses rondes et hautes, ses cuisses fuselées étaient prolongées par des jambes fines. Peut-être étaient-elles même un peu trop fines, mais il y avait dans son corps une énergie qui ne laissait pas Floyd indifférent" (page 29)
Floyd, son fils ainé est un musicien de jazz qui va de ville en ville. Il aime sa mère mais a tous les défauts de son père (le jeu, les prostitués) et surtout Floyd aime tout autant les garçons. Ses errances l'emmènent dans le Sud que sa mère a fui. Ayana Mathis rappelle une période trouble de l'Amérique mais aborde aussi l'homosexualité à cette époque. Thème rarement rencontré dans mes lectures. A l'opposé de son jeune frère, Six - dont le pasteur décèle chez lui un talent de prédicateur. Hattie aime ses fils et surtout Six. Mais le jeune homme, frêle, plein de doutes est aussi faible et quitter très jeune la maison.
Il y avait un morceau de béton sur le sol, près de la tête d'Avery. Six l'avait ramassé et avait sauté sur le garçon. Il l'avait frappé avec cette pierre comme si Avery avait été toutes les choses intolérables qui eussent jamais existé. Il l'avait battu comme s'il l'avait été l'eau bouillante qui l'avait ébouillanté, comme s'il avait été chacun des regards de pitié, chacune des cruautés que Six avaient dû endurer de la part des autres garçons à l'école. Plus il frappait Avery, plus il sentait puissant. (page 94)
J'avoue que j'avais encore des difficultés à ce moment-là à rentrer dans le roman, j'ignore pourquoi, mais je ne trouvais aucun personnage attachant. J'ai besoin de cette petite étincelle, mais je n'ai pas lâché l'affaire et Hattie non plus. Loin de son époux qui la néglige, dépense ses maigres revenus dans les bars et le jeu, elle trouve l'amour dans les bras d'un autre homme. Elle ne se cache pas vraiment et garde même l'enfant né de cette liaison extra conjugale. Ruthie incarne la promesse d'une autre vie, d'une nouvelle histoire, loin de la pauvreté, loin de Philadelphie que la jeune femme déteste. Hattie part à Baltimore.
Hattie a déjà 46 ans lorsque la vie lui offre un dernier cadeau, un dernier enfant - presque trente ans après ses jumeaux. Une fille prénommée Ella. Mais la petite est de trop. Les années ont passé et Hattie et August ont vieilli et ont toujours du mal à finir chaque mois. Hattie revit le même cauchemar : perdre un enfant. Hattie déteste cette vie - le Nord ne lui a apporté que des déceptions, et la liberté a un goût amer.
Les années passent, peu à peu la société américaine change. Une bourgeoisie Noire américaine a émergé, Alice, la fille d'Hattie en est la preuve. Son époux est riche et ils ont des domestiques Noirs. Alice incarne la réussite que sa propre mère n'a jamais eu, une mère qu'elle languit mais qu'elle ne voit plus. Malgré son statut privilégié, Alice est profondément triste et dépressive. J'ai beaucoup aimé ce chapitre. J'y ai trouvé une profondeur et j'ai aimé Alice et surtout j'ai commencé à apprécier de plus en plus le personnage d'Hattie. Mon regard sur ce livre a beaucoup évolué à partir de cette histoire. Alice et Billups son jeune frère qui cachent tous deux un terrible secret de leur enfance.
Il ferait tomber deux pilules blanches de le creux de sa main en lui disant qu'elle avait besoin de repos. La soirée se poursuivrait sans elle, tandis qu'elle serait couchée dans sa chambre, à l'étage, les couvertures pesant sur elle comme un corps, la peau de ses lèvres se fendillant dans l'air chaud et sec. (page 207)
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D'autres enfants viennent raconter Hattie : Bell en 1975, puis Cassie et enfin Sala en 1980. Près de soixante ans après l'arrivée de la jeune femme à Philadelphie. Chaque narrateur apporte au lecteur une vision différente de l'Amérique - soixante années défilent sous nos yeux, avec comme fil conducteur un petit bout de femme du Sud.
Hattie avait de son mieux. Les regrets et les récriminations, c'était terminé pour elle, tout cela n'avait plus aucun sens pour une femme âgée. Et il y avait eu tant de bébés : des bébés qui pleurent, des bébés qui commencent à marcher, des bébés à nourrir, des bébés à changer. Des bébés malades, des bébés brûlants de fièvre. (page 304)
Un livre touchant - une chronique familiale qui vous emporte. Un bon moment de lecture, Alice aura été l'élément déclencheur - je n'ai plus lâché le livre après. Ce livre n'est pas uniquement un témoignage d'Outre-Atlantique, il replace le lecteur à différentes étapes de sa vie : enfant puis adulte. Et il nous montre à quel point les enfants même à l'âge adulte continuent de chercher désespérément l'amour maternel.
★★★★★
Gallmeister, Americana, 311 pages
Je l'ai commencé hier soir en VO! Pour l'instant, j'en suis à la première aventure de Floyd et ça me plaît! Je reviendrai lire ton billet qui m'a l'air bien complet plus tard...
ReplyDeleteOh alors je te souhaite une bonne lecture ;-)
DeleteOn verra ensuite si tu te retrouves dans ma chronique !
Très beau et très inspirant, ton billet! Je l'ai commencé il y a quelques mois, puis mis de côté pour mieux y revenir. Peut-être...
ReplyDeleteMerci ! Peut-être ai-je un peu trop raconté ? Comme je le dis dans mon billet, il m'a fallu du temps pour avoir le fameux "déclic" .. J'ai trouvé l'histoire de ses filles plus inspirante d'où peut-être le fait que tu l'aies reposé.
ReplyDeleteIl est sur ma liste d'achat (j'ai commencé à le lire à la bibli, mais du coup j'ai envie de l'avoir à moi...) Ce que tu en dis achève de me convaincre !
ReplyDeleteMerci ;-)
DeleteJe ne comprenais pas l'enthousiasme autour de ce livre mais une fois dedans je ne l'ai plus lâché ;-)
Je l'ai lu en V.O. celui-ci et j'ai adoré :)
ReplyDeleteIl ne cessait de me faire de l'oeil !
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