Tuesday, January 28, 2014

Réparer les vivants

"Exercitatio Anatomica de Motu Cordis in Sanguinis in Animalibus." 

J'avais déjà lu plusieurs critiques consacrées au dernier ouvrage de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants et je l'ai vue dans La Grande Librairie raconter la genèse de cet ouvrage consacrée au processus de transplantation qui naquit suite à la révolution opérée en 1959 lorsque des chercheurs français déclarent que la mort ne résulte plus de l'arrêt du cœur mais de l'arrêt des fonctions cérébrales. 

Véritable révolution pour nous, humains, qui pendant des siècles avons le mis le cœur à l'honneur - celui-ci n'est donc plus qu'un simple appareil à pomper, transférable de surcroît dans un autre corps. Organe qui ne porte plus l'âme du défunt. L'évocation du symbolisme qui entoure cet organe me fait penser à un autre ouvrage (que je n'ai pas lu) de Charlotte de Valandrey - transplantée il y a dix ans et qui je crois a défendu l'inverse, qu'elle avait non seulement récupéré un organe mais aussi une part d'âme.

Difficile de dissocier ce cœur du symbolisme qui l'entoure, religieux ou laïc. Les rois n'avaient-ils pas leur cœur retiré du corps et vénéré dans un lieu de culte ? 

Nul besoin de temples, nul besoin de philosophies compliquées. Notre cerveau et notre cœur sont nos temples.

Mais revenons au sujet de ce livre, ici on suit le parcours d'un cœur - celui de Simon Limbres, jeune haverais de 19 ans décédé subitement un matin brumeux au retour d'une partie de surf avec ses meilleurs amis. Entre l'annonce aux proches et la décision ultime du don d'organes, Maylis de Kerangal emporte ses lecteurs dans un tourbillon où se croisent services de réanimation, chirurgiens, surfers et maux de l'âme. Comment apprend-t-on le décès d'un enfant à ses parents pour leur demander quelques heures plus tard de donner ses organes ? 

Par une organisation incroyablement bien réglée - entre en jeu alors plusieurs personnages qui jouent chacun un rôle crucial dans un moment où chaque minute compte - les organes n'ayant qu'une durée de vie très limitée. La romancière décrit ici un ballet divinement bien chorégraphié : le médecin qui annonce le décès à la famille, l'infirmier qui va amorcer la réflexion autour du don d'organes, l'anesthésiste puis les chirurgiens. Elle raconte en détail le déroulé entier de l'intervention. 

C'est sans doute cette partie et le tout début (où l'on suit le jeune Simon dans ses dernières heures) qui m'a le plus passionnée, apprendre qu'un ordre précis existe dans l'extraction des organes, que ce sont ceux qui enlèvent les reins qui ouvrent et referment le corps. Comment s'opère le choix entre le donneur et le receveur.  Que les dernières volontés des familles sont respectées avant l'arrêt des machines respiratoires.

Le cœur fait tout, le reste est inutile.

Et puis le lecteur suit ce cœur qui va s'envoler vers un autre corps - la mort cède soudainement place à la vie, encore. Et la maxime en latin qui ouvre mon billet est prononcée lorsque les médecins retirent le cœur malade et laisse place à une machine le temps d'installer le nouveau.

Jamais l'auteur ne s'éloigne de la douleur des parents de Simon, jamais elle ne manque de respect envers leur souffrance et le douloureux choix qu'est le don d'organes - ouvrir un corps, le vider - hésiter pour le cœur, mais refuser pour les yeux car les yeux, c'est l'ouverture sur l'âme. 

L'être humain a beau avoir évolué avec la science, désacralisé bon nombre de croyances, le corps du défunt reste toujours sacré - certains refusent d'ailleurs qu'on y touche, même pour une simple autopsie. Le défunt, pour pouvoir continuer son voyage dans l'au-delà doit être "entier".  Maylis de Kerangal  souligne ici l'incroyable dévouement de ces équipes spécialisées qui ne forcent jamais la main des familles, qui font de leur métier un sacerdoce où la mort croise la vie et vice-versa. 

Nul n'existe vraiment, on ne vit en fait que dans le cœur des autres

Le style de l'auteur m'a un peu rebuté au départ, je l'avoue. Elle aime ces paragraphes d'une ou deux pages, ponctués uniquement de virgules, on s'essouffle parfois à la lire. Elle décrit ses personnages dans un tourbillon de souvenirs, images, impressions. J'avoue que je j'aurais pu me passer de tout connaître pour certains d'entre eux. Mais j'hésite encore à ce propos. 

J'ai dévoré ce livre en moins de deux jours, avec une émotion soudaine à la lecture du devenir de ces organes. Et puis j'ai appris que chaque mot est soupesé et que la vérité est dite, parfois froide et cruelle. S'entendre dire que son enfant est mort alors qu'il paraît encore dormir, le visage rose, les yeux fermés, et ce cœur qui bat encore. 
 
Maylis de Kerangal s'est inspirée d'une phrase de Platonov pour titrer son ouvrage : "enterrer les morts et réparer les vivants". Elle aurait pu la reprendre en entier, car même si elle a voulu mettre l'accent sur la transplantation, elle a tout aussi joliment et magnifiquement aborder le thème de la mort. 

 Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants.

Un livre à lire absolument, une réflexion sur la vie qu'il est nécessaire de faire, l'auteur ne balance jamais vers un côté - elle laisse le lecteur libre de son choix, mais lui permet justement d'y réfléchir afin de ne pas laisser des familles dans un désarroi complet. 

Un gros coup de cœur pour ce début d'année !

Saturday, January 18, 2014

Friday, January 17, 2014

Little Bird de Craig Johnson

Si vous aimez les grands espaces américains, la culture amérindienne, l'Ouest sauvage et une écriture maitrisée, alors vous serez conquis par les romans de Craig Johnson.

Laissez-moi vous présenter le premier roman des aventures du shérif Walt Longmire, dont vous pouvez trouver les romans dans la collection Totem de Gallmeister.

La vie de Craig Johnson est aussi passionnante que ces personnages - il a été policier, pêcheur professionnel, charpentier et prof de fac. Il vit aujourd'hui dans les Bighorn Mountains (Wyoming) où il possède un ranch. 

Ayant vécu dans le Montana, et ayant eu la chance d'aller plusieurs fois dans l'état voisin du Wyoming - je suis jalouse. 

Little Bird vous présente le personnage fétiche de Craig Johnson : Walt Longmire, shérif du comté d'Absaroka. L'homme, veuf depuis peu, père d'une jeune femme prénommée Cady, avocate à Philadelphie, aspire à prendre sa retraite après une bonne vingtaine d'années de bons et loyaux services lorsque le corps d'un jeune homme, Cody Pritchard est retrouvé près de la réserve Cheyenne. 

Le meurtre du jeune homme intervient deux ans après sa condamnation avec sursis (avec trois autres adolescents) pour le viol d'une jeune indienne, Melissa Little Bird. Le jugement si clément avait avivé à l'époque les tensions entre les deux communautés. Walt, aidé de son meilleur ami, Henry Standing Bear (lui-même Cheyenne) et oncle de la victime, vont tenter de stopper le meurtrier avide de vengeance, dans une course poursuite à travers les étendues des hautes plaines du Wyoming alors qu'un violent blizzard s'installe.



Le roman présente les divers personnages que le lecteur pourra retrouver dans les autres romans de Craig Johnson : le très subtil et bel homme Henry Standing Bear, la jeune adjointe Vic Moretti, venue tout droit de Philadelphie et Cady, la fille de Walt.  Tous des personnages très attachants. 

Mais surtout le roman sait présenter au lecteur la difficile cohabitation, au vingt-et-unième siècle des indiens et des blancs. Ayant vécu au Montana, je traversais souvent une réserve et me rendais dans une autre, et j'ai pu voir les conditions de vie des tribus (qui n'étaient pas Cheyenne) et les tensions qui perduraient entre les communautés. Le racisme est toujours présent et les disparités sont flagrantes. Craig Johnson n'invente rien mais sait passer d'un monde à l'autre, sans jamais manquer de respect à l'une ou l'autre.

 

Les romans de Craig Johnson ont fait récemment l'adaptation à la télévision d'une mini série intitulée Longmire. Si elle n'est pas entièrement fidèle au roman (ainsi l'adaptation de cette histoire en particulier n'a plus grand chose à voir avec le livre), elle est quand même fidèle à l'esprit du romancier, fidèle aux personnages de Longmire et de Moretti et à l'amitié entre lui et Henry Standing Bear, interprété magnifiquement par le très séduisant Lou Diamond Philipps.  Si vous êtes curieux, j'en ai déjà parlé ici. 

Si vous êtes intéressée, je vous annonce d'ores et déjà que cinq autres aventures du shérif sont disponibles chez Gallmeister : Le camp des morts, l'indien blanc, les enfants de poussière, Dark Horse et Molosses. 

Monday, December 9, 2013

La sanction de Trevanian

J'adore offrir des livres, car je sais aussi que je vais les lire avant - oui pour m'assurer qu'ils sont biens, évidemment. Je cherchais donc des livres pour mon beau-père, nous partageons un goût commun pour les polars mais aussi les romans historiques. Lorsque j'ai découvert la collection noire de Gallmeister, j'ai été attirée par les romans de Trevanian, mettant en scène une sorte de James Bond dandy, Jonathan Hemlock. Professeur d'histoire de l'art et alpiniste renommé, ce trentenaire est aussi un tueur qui travaille pour une organisation américaine secrète (CII) qui inflige des "sanctions" en assassinant d'autres tueurs.

Ce dandy, collectionneur de femmes et d'oeuvres d'art, vit dans une église aménagée en loft en 1969 et accepte de travailler pour le compte du CII uniquement lorsqu'une oeuvre d'art lui plait et qu'il a besoin d'argent. Homme mystérieux, il n'est fidèle qu'à lui-même et à quelques principes comme la loyauté. Dénué d'empathie, il accomplit ses assassinats sans ressentir le moindre remord, il songe à la retraite lorsqu'il est entrainé dans une dernière mission dangereuse. Il doit enfiler sa tenue d'alpiniste et tenter l'ascension de l'Eiger dans les Alpes, tout en essayant de reconnaître parmi ses compagnons de cordée un autre assassin.

J'avoue avoir été surprise par ce roman - le lecteur ne peut s'empêcher de penser à James Bond et à Sherlock Holmes lors de la lecture du premier chapitre, un héros jeune, talentueux, beau, intelligent et riche et espion de surcroît. Mais très vite, l'auteur en fait une caricature destinée à faire une critique implacable de son pays, du gouvernement américain qui ne respecte aucune loi, et en filigrane une attaque aiguisée de la CIA et de ses interventions illégales à travers le monde.

Le personnage est loin d'être attachant, il est calculateur et collectionne les femmes comme des objets, et puis il tue sans état d'âme. J'ai même, je l'avoue, eu du mal au début. J'ai cru abandonner ma lecture lors des quarante premières pages, puis le héros part s'entrainer pour l'escalade du mont Eiger et le suspense redonne du rythme au livre. C'est un roman atypique, difficile de le classer, l'auteur a signé une parodie du roman d'espionnage, si populaire à l'époque avec une touche de western (à la Sergio Leone) et de polar lorsqu'ils ne sont plus que quatre à tenter cette ascension du mont Eiger, resté invaincu.

Ce qui m'a attiré dans ce roman, c'est également la personnalité de l'auteur-même, Trevanian. Ce romancier est devenu célèbre lorsque The Eiger Sanction, le titre original du roman, a été publié en 1972. Ce livre est la première aventure de Hemlock qui sera vendue à travers le monde à plus de cinq millions d'exemplaires et traduit en plus de quinze langues. De nombreuses rumeurs vont courir sur la véritable identité du romancier, on aura longtemps cru qu'il s'agissait de Robert Ludlum, Tom Clancy ou Tom Wolfe.
Coucher de soleil sur l'Eiger

Le romancier américain ne cessera de publier sous divers pseudonymes, Trevanian étant le plus célèbre. Le mystère sera levé dans les années 80 lorsque l'auteur aura choisi de "tuer Trevanian". L'auteur expliquait dans une de ses interviews qu'il prenait la plume sous un nom différent, et qu'il créait par là-même toute une personnalité pour ce nouvel auteur de polars, western ou autre genre.

Déçu par l'adaptation cinématographique du film (Clint Eastwood sera Hemlock au cinéma en 1975), il l'était également de la politique de son pays. Il quitte les USA pour s'installer en France, dans le pays basque et meurt en 2005. Il s'appelait Rodney William Whitaker.

Il a publié une suite aux aventures de Jonathan Hemlock : The Loo sanction (en français : l'Expert), il a également publié The Main et surtout Shibumi qui lui a valu des critiques dithyrambiques.  Je ne vais pas tarder à les acheter, croyez-moi ! Ils sont tous disponibles chez Gallmeister.

Dois-je vous rappeler que Gallmeister les a publiés de nouveau
cette année à 10 petits euros ? (en 2007 l'éditeur les avait publiés en format broché). Donc n'hésitez pas à découvrir un auteur qui a été classé parmi les plus grands romanciers américains.


PS : je ne suis pas payée par Gallmeister, dont je vous ai déjà parlé avec leur collection Totem - il se trouve que je suis tombée amoureuse de cette maison d'édition qui allie petits prix, belles couvertures et excellent choix de livres.